
On vient d’arrêter Max Jacob, le poète, l’ami de Pablo Picasso, de Jean Cocteau, de Michel Leiris, d’Edmond Jabès, d’André Salmon, l’épistolier inlassable, le fantaisiste, le satiriste, l’esprit libre.
A Saint-Benoît-sur-Loire, dont l’abbaye bénédictine est un des hauts lieux de la chrétienté, la Gestapo jubile : on vient de bâillonner la poésie.
A Saint-Benoît-sur-Loire, Max Jacob, converti au catholicisme, priait, peignait, écrivait, lisait, servait la messe, chassait ses démons. Halte-là l’activiste !
Marcel Béalu se souvient : « Pour payer le logement, tabac et timbres-poste, Max se voit obligé de ne prendre qu’un repas par jour. »
La guerre est là, sous les fenêtres, mais Max se refuse à fuir.

Obligation de s’inscrire à Montargis sur un registre spécial « pour la question juive ».
Max Jacob, un catholique ayant vu par deux fois le Christ ? Eux : « C’est la race qui compte. »
A Quimper, à Paris, les Jacob sont persécutés, leurs maisons pillées.
A Saint-Benoît, Max, chevalier de la Légion d’honneur, porte l’étoile jaune.
On inscrit le mot « JUIF » en lettres rouges sur sa carte d’identité.
La milice guette.
Dans une étude très précise des faits – la retraite à Saint-Benoît, l’internement, les derniers jours – la poétesse Lina Lachgar révèle, documents à l’appui, la sordide logique de la haine.
Rappels douloureux mais nécessaires : « Les Juifs sont touchés rapidement et sans que l’Allemagne n’ait formulé la moindre demande en ce sens. »
« En mai 1941, a lieu dans le Loiret une déportation massive de milliers de juifs polonais, tchèques et apatrides, aux camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. A partir du mois d’août, les Juifs sont massés à Drancy, camp d’internement. Les premiers convois vers Auschwitz partiront en mars et juin 1942. »
« La rafle du Vel’d’hiv entraîne l’arrestation de 12 884 Juifs, les 16 et 17 juillet. »
« En juillet à Quimper, Gaston le frère aîné de Max est arrêté pour être allé se promener avec son étoile jaune dans un jardin public interdit aux Juifs. » – il mourra à Auschwitz le 16 février 1943.
Janvier 1944 : sa « sœur préférée » est arrêtée, déportée elle aussi à Drancy.

Le froid est alors infernal.
Une traction avant noire démarre : Max Jacob est en état d’arrestation. Désormais, c’est le naufrage.
A-t-il pu emporter son chapelet ? Oui.
Le poète de noter : certains gendarmes sont « honteux » d’accomplir leur sale besogne.
A Drancy règne une odeur de mort.
Fatigue, froid, Max est couché à même le sol, malade des poumons, malade de la haine. Il a 67 ans, il ne veut plus se battre.
Cocteau : « Je ferai l’impossible. »
Trop tard.
Le 5 mars 1944, ce n’est même pas la fête : un corps parmi d’autres a succombé. L’administration policière s’en foutrait bien, mais c’est une corvée, vous comprenez, que tous ces corps pouilleux à évacuer.
Le récit de Lina Lachgar, sobre, informé, sans pathos, est terrible. Il dit ce qui est arrivé, ce qui arrive, ce qui arrivera.

Arrestation et mort de Max Jacob est un livre qu’on ne peut pas refermer, il faut le transmettre.
Le 5 mars 1949 a lieu son inhumation à Saint-Benoît. « Etaient présents Jacques Jacob le frère de Max, « pareil à Max, moins tout », le seul survivant de la famille ; parmi les amis : Jean Denoël, André Billy, Louis Guilloux, le baron Mollet, Carmen Colle, le docteur Georges Durand, le docteur Robert Szigeti, Jean Rousselot, Marcel Béalu, René Guy Cadou, Michel Manoll, Roger Toulouse et son épouse Marguerite, Henri Sauguet… ainsi que toute la population du bourg. »
L’exergue – extrait des Méditations religieuses du poète supplicié – est une fin : « Je vous remercie de m’avoir fait naître de la race juive souffrante, car celui-là seul est sauvé qui souffre et qui sait qu’il souffre et offre à Dieu sa souffrance. »

Lina Lachgar, Arrestation et mort de Max Jacob, éditions La Différence, 2017, 144P


Acheter Arrestation et mort de Max Jacob sur le site les libraires.fr
Merci, je vais acheter ce livre
J’aimeJ’aime