Le photographe Arno Brignon a vécu plusieurs semaines en immersion dans le Couserans, en Ariège, découvrant la géographie singulière d’une terre propice aux légendes les plus fantastiques, et rencontrant des habitants avec qui mener un projet artistique construit autour de la question de la mémoire et de l’utilisation du sténopé.
Le livre qui en est l’aboutissement, Based on a true story (Photopaper, 2017), est un territoire de beauté étrange, où les archives se mêlent à des images de nature fictionnelle souvent très énigmatiques.
Ouvrage conçu comme un microcosme ouvert sur l’imaginaire, Based on a true story est un objet sauvage, intime, brouillant les frontières entre le passé et le présent, le réel et le conte, la présence et l’absence.
Nous avons conversé longuement sur cette expérience d’ancrage menée dans un inter-monde extrêmement attirant, espace de montagnes et de forêts lointaines, qu’un livre tente de restituer en sa part essentielle de mystère.
Les images de votre livre, Based on a true story, ont été réalisées lors d’une résidence de territoire dans le Couserans (Ariège) de décembre 2015 à juin 2016. Aviez-vous un cahier des charges, ou des attentes particulières de la part de vos financeurs ? Comment avez-vous bâti votre projet photographique ? Comment a-t-il évolué au fil du temps ?
Oui, le cahier des charges était très clair, l’idée principale de cette résidence étant que les habitants soient impliqués dans le processus de création de l’artiste. Cette demande est, pour les commanditaires, plus importante que la création en elle-même, le but du dispositif étant d’utiliser la culture comme moteur de développement et de création de liens sur des territoires isolés. La création artistique n’est donc pas le cœur du projet comme il m’a été répété dès mon arrivée et n’est même pas obligatoire. C’est un peu sec, quand on attend justement d’une résidence un espace pour expérimenter, développer, pouvoir enfin s’atteler à un projet personnel. Paradoxalement, ce non-attendu concernant la création, m’a complètement libéré. La pression qui peut exister parfois quant à une restitution sur laquelle on va être comparé, jugé, n’existe pas ici. J’ai pu expérimenter sans crainte, sans chercher absolument à arriver à un rendu finalisé et cohérent souvent nécessaire. Une vraie liberté de mon point de vue, qui m’a permis de sortir d’une certaine reproduction de mon travail antérieur. Une liberté et une confiance portées de bout en bout par Jean-François Brunel de l’Adecc, qui pilote la résidence.
L’autre point important du cahier des charges est dans l’intitulé même : le territoire. Si sur la carte le pays Couserans ne paraît pas si immense (50km2 environ), la réalité est tout autre, tant la géographie montagneuse change le rapport aux distances. Passer d’une vallée à une autre ne se compte pas en kms mais en temps, et celui-ci peut être encore plus long en hiver où les cols sont fermés. Ici on part des plaines pour arriver à plus de 3000m avec des réalités de vie très différentes du nord au sud. J’ai passé des heures sur les routes, découvrant par là-même qu’ici beaucoup d’entre elles ont une fin.
Une autre des exigences est cette volonté d’immersion demandée, qui, je dois l’avouer, ne m’a pas enthousiasmé au départ. Il est imposé au photographe de venir vivre deux mois en continu sur le territoire après une première période de quinze jours au préalable de prises de contacts. Une temporalité pas forcement compatible avec la vie de famille. Au final, cette contrainte m’a tellement plu, que je suis resté quinze jours de plus, et que j’aurais bien prolongé encore…
Concernant mon projet, j’étais loin de me douter qu’il aurait cette forme finale. L’idée de restituer le travail sous forme de livre plutôt que d’exposition n’est d’ailleurs venue qu’une fois la résidence commencée. L’attribution de la résidence étant basée sur un appel à auteur, j’avais toutefois réfléchi à un projet en amont, mais sans bien connaître la réalité du terrain. Le Couserans était pour moi en 2015 terra incognita. L’idée de partager ma pratique de l’argentique par le biais de sténopés était l’idée de base de mon projet et faisait suite à une résidence que j’avais fait juste avant à Aussillon où j’avais expérimenté la camera obscura comme moyen de création participative. Ici ma volonté était de ne surtout pas séparer les temps « d’atelier » et mes temps de création mais bien de confondre ces séquences en une seule. J’ai utilisé les ateliers comme moyens de rencontres et comme occasions de prises de vue. Mais les choses étaient bien plus formelles sur le papier qu’elle ne se sont avérées dans la réalité et tant mieux !
Par quels biais avez-vous abordé ce territoire ?
La première chose qui frappe quand on arrive ici, c’est la beauté de la nature, la richesse des paysages, le côté sauvage du territoire. Cette impression d’être en plein « into the wild » est peut-être due au parc naturel ou à la présence si controversé des ours, mais plus sûrement à cette préoccupation pour la nature permanente de ceux qui vivent ici. Puis, il y a eu les rencontres. La réalité est évidement plus dure qu’elle n’y paraît au premier abord. Il y a peu de travail ici, et la misère n’est pas une exception. La population est multiple, et les échanges entre les familles historiques et les nouveaux arrivants pas si naturels, ni fréquents. Un samedi passé sur le célèbre marché de St Girons met en lumière ces différences criantes entre les différents groupes d’appartenance qui ne sont pas que vestimentaires ou capillaires. Il y a les anciens et les « neo » qui sont venus par conviction, militantisme, dans un mouvement de retour à la nature et de recherche d’un mode de vie qui fait sens. Nombreux sont aussi ceux qui sous couvert de décroissance viennent voir comme le chante Aznavour si la misère ne serait pas moins pénible au soleil. Ils vivent dans une précarité et une marginalisation certaines. Une de mes premières rencontres fut avec cet homme que j’ai photographié allongé devant sa cabane. Je l’avais pris en stop (un des modes de transport des plus courants ici). Après avoir un peu discuté, il m’explique comment le rejoindre. Il vit au fond des bois dans un campement et prône la recherche d’autonomie complète. Je m’y suis rendu le lendemain. Après avoir garé ma voiture au bout d’une piste, je marche 10 mn au milieu de la forêt jusqu’à atteindre le bosquet de bouleaux qui annonce mon arrivée. Une cabane au fond de la clairière, une autre en construction, le plancher d’une yourte et un tipi forment un ensemble qui se mêle naturellement au paysage. En cette (trop) douce journée de décembre, la radicalité partagée de ce choix de vie mêlée à la beauté de la vue sur les sommets tout juste enneigés ont été, je pense, le véritable point d’entrée dans ma résidence. Un rite de passage complété par les récits de cette femme sur ces choix de vie et les Family Rainbow, qui semblent osciller entre la Petite maison dans la prairie et Mad Max. Un espace mystique où le « no futur » et les histoires d’enfance se mêlent de façon aussi évidente qu’improbable. Ces nouvelles légendes dans ces montagne qui n’en manquent pourtant pas, ont été ce que j’ai voulu raconter, la nature, la magie, le mystique, l’enfance et l’animalité mon vocabulaire.
A quelles difficultés vous êtes-vous heurté ? Qu’avez-vous compris du Couserans ? Avez-vous vécu de grands étonnements ?
La taille du territoire et les heures passées sur les routes ont été certainement le plus compliqué. Le territoire est immense et parfois difficilement praticable. Il est impossible d’aller partout en trois mois. Il y a d’ailleurs encore pas mal de coins que j’aurais voulu explorer, mais faute de temps, ça sera pour une autre fois…. Moi qui pensais pouvoir ralentir, être sur un autre rythme, pouvoir profiter pour aller marcher, j’ai eu l’impression de n’avoir aucun moment à moi, passant continuellement d’une rencontre à l’autre, d’un atelier à l’autre, sans parler du travail de post-prod et toujours cette route… Des étonnements, j’en ai eu plus d’un, que ce soit dans les rencontres, les moments vécus, les lieux où il y a des habitats plus improbable les uns que les autres. Et partout cet accueil assez unique, les portes s’ouvrent facilement et les albums photos aussi !
Votre regard sur la ruralité a-t-il été modifié par votre résidence ?
De la ruralité, mes repères personnels me ramènent aux souvenirs d’enfance du Livradois Forez de mes grands-parents où j’allais passer mes étés. Une campagne qui ressemblait plus au monde décrit par Christophe Agou dans Face au silence. Il y a aussi dans mon histoire la Normandie autour de Flers. Une zone où la désindustrialisation a frappé aussi sûrement que l’amiante. Un exode rural massif, avec des villes et villages qui se désertifient toujours un peu plus. Ici, c’est tout l’inverse. Bien sûr la désindustrialisation existe, et l’exode liée aussi, mais il y a un autre flux qui depuis les années 70 a vu s’installer jeunes, familles, qui ont repeuplé le territoire, faisant sans aucun doute vivre les villages et les écoles. Finalement le seul lien entre ces trois visions de la ruralité doit être les vaches laitières et le fromage… Dans le Couserans, il y a quelque chose de très attirant dans la vie de village, où les liens sont forts et où l’air est pur. Mais, après de nombreuses discussions, je me rends bien compte qu’il y a aussi quelque chose qui peut être difficile et enfermant dans cette vie en microcosme, aussi beau que soit ce dernier.
Pour ce projet, quelles étaient vos références photographiques ?
J’ai beaucoup relu le livre Masao Yamamoto que j’ai dans ma bibliothèque à ce moment-là. Sinon, je ne sais pas s’il y a des photographes qui m’ont particulièrement inspiré pour ce projet…D’une manière générale, je vais souvent voir du côté de Robert Franck et Koudelka et des photographes tels que Mickael Ackerman, Dolores Marat, Stéphane Duroy ou Sally Mann… Il y a aussi Gael Bonnefon et Anne Desplantez, deux photographes avec qui je travaille très régulièrement et dont on peut sans aucun doute dire qu’à force d’échanges, on s’influence très directement. Mais finalement pour ce projet mes références sont peut-être plus à aller chercher dans le cinéma de Lynch. J’ai revu la saison 1 de Twin Peaks pendant ces soirées où la pluie remplace le soleil qui se couche trop tôt, ou dans le cinéma de Jarmusch. Des influences à aller chercher aussi dans la littérature, toujours présente dans mon quotidien et dans mon travail. J’avais également emprunté à la bibliothèque des recueils de légendes locales, sans trop savoir si au final elles m’ont inspiré tant la réalité semblait encore plus inscrite dans l’étrange. Mais cet univers a fait écho avec des lectures plus anciennes de mon enfance, des contes qui se sont rappelés à moi ou de des lectures de livres fantastiques que je faisais à l’adolescence comme ceux de Tolkien, Loisel, Moorcock, Segur et autres. Et puis, il y a un je-ne-sais-quoi de Kusturica dans ce territoire…
Vous avez choisi pour votre livre, dont la matière est très riche, une structure tripartite. Que vous a-t-elle autorisé ?
Le territoire ne se prête pas vraiment à une restitution sous forme d’exposition, il n’y a pas de lieu d’expo adapté, et de toute façon je ne suis pas sûr que beaucoup des participants seraient venus voir le travail ainsi restitué. Le seul véritable lieu est le « bus espace culturel mobile » de Coline Mialhe, un lieu itinérant sur tout le département où sont présentées des expositions, et qui a été un vrai point d’appui pendant cette résidence Avec le livre, je pouvais créer un objet qui soit à la fois une restitution de ce travail et un lien avec les participants. Plus de 400 livres ont ainsi était distribués à ceux qui ont participé d’une façon ou d’une autre à ce projet. Et puis j’aime le Livre, il permet de construire une narration, Il reste, on peut y venir et revenir, le lire de différentes façons. Concernant ce livre, je voulais absolument que le travail réalisé par et avec les habitants apparaissent d’une façon ou d’une autre dans cet ouvrage. Elisa Hebert (l’éditrice) m’a énormément apporté dans ce projet. Il est clair que sans elle, le livre n’aurait pas existé ! Elle a réalisé un travail formidable de mise en page, apporté des propositions fortes et ce en très peu de temps. Elle s’est vraiment approprié mon travail avec finesse et sincérité. Nous avons beaucoup (beaucoup) échangé tout l’été autour des choix éditoriaux (format, papier…) et de l’editing. Cette idée de structure en plusieurs parties nous est venue assez rapidement, tout comme cette reliure et cette entrée directement par l’image ; avec la volonté que le lecteur entre dans le territoire par la forêt, par le conte et avance pas à pas dans son récit pour finir en progressant de plus en plus vers la réalité avec une plongée finale dans les archives…. On passe ainsi dans le livre de la fiction au réel, du présent au passé. La partie texte faisant office de séparateur entre mon travail et celui lié aux habitants. C’est d’ailleurs la première fois que je mêle ainsi de l’écrit à mon travail. Une piste nouvelle que je continue à explorer aujourd’hui.
Comment avez-vous abordé les archives que vous avez utilisées ?
Cette idée d’utilisé des archives n’était pas du tout inscrite dans mon projet initial. C’est venu en décembre, par une rencontre avec Pierrette. Je cherchais des informations, des histoires sur le Couserans. On m’a alors présenté cette femme de 88 ans pleine d’histoires à partager. Elle m’a montré ses albums, et d’autres photos, des plaques de verres qu’elle avait récupérées aussi sans trop savoir de qui. C’était un voyage dans le temps, où j’ai compris à quel point la montagne impose un mode de vie qui traverse les époques et les groupes d’appartenance. Certaines de ces photos me rappelaient dans leur esthétique celle que je faisais alors au sténopé. J’ai continué à chercher des albums de famille, sans trop savoir ce que j’en ferais. Je suis même allé à la bibliothèque départementale, mais j’ai vite abandonné car seules les archives personnelles avaient du sens dans cette histoire où l’intime est au cœur de mon projet. Je voulais les insérer à mon travail pour renforcer l’intemporalité de mon histoire, mêler le réel à la fiction. J’ai eu beaucoup de propositions, des images formidables. Finalement, je n’en ai incorporé que cinq ou six dans la première partie. Elles renforcent le récit et le trouble, comme celles des deux chasseurs posant fièrement avec leur grand Tétra.
Vous avez mené de multiples ateliers, avec des écoles, chez les habitants, en bibliothèque ou en Centre de loisir. Comment avez-vous travaillé avec des néophytes ?
Tous n’étaient pas néophytes, certains étaient déjà connaisseurs, mais c’est vrai que la plupart découvraient la pratique de l’argentique. Avec le sténopé, il y a quelque chose de magique qui se passe, une expérience qui en général surprend et plaît, quel que soit l’âge. Le panel a d’ailleurs était très large, la plus jeune était âgée de trois ans et la plus vieille de plus de quatre-vingt-dix ans. Je ne m’attendais pas à un tel engouement de la part des habitants. Au début, j’avais proposé des ateliers dans des lieux institutionnels (école, foyer rural, centre de loisir, bibliothèque….), mais j’ai eu tellement de réponses favorables que j’ai dû faire un tri important, d’autant plus que je voulais garder un peu de temps pour pouvoir réagir à des propositions qui viendraient en cours de résidence. Je voulais garder aussi un peu de temps pour moi, ce qui a été peut être le plus difficile à obtenir. Au final, j’ai dû faire une vingtaine d’ateliers dans des lieux et des ambiances des plus différentes. J’ai monté ici un studio/labo dans une salle de concert, où les gens pouvaient venir se prendre en photo puis développer tout de suite l’image. Là, un labo dans un bus, ou encore dans un château… Certains uniquement pour le temps d’une après-midi, d’autres amenés à durer une semaine, ou à se répéter tout au long de la résidence permettant d’aller plus loin que la simple expérimentation avec les habitants. Ces ateliers ont été sources de surprises et de créations pour moi. Au-delà des possibilités de rencontres qu’ils ont permis, les expérimentations et « erreurs » des usagers ont été parfois des découvertes. Ainsi, l’idée des panoramiques dans le livre vient initialement d’une photo prise par un enfant, qui n’avançait pas assez le film, et créait ainsi des superpositions partielles. Je me suis alors réapproprié cette erreur pour créer des paysages imaginaires. De même, j’ai été frappé par des jeunes reprenant l’iconographie du Selfie fait avec leur téléphone, pour les refaire au sténopé.
Pourquoi un titre en anglais ?
En fait, le titre vient d’une chanson d’un groupe néo-zélandais qui s’appelle Fat Freddy drop. Un jour, je tombe dessus par hasard, et je me dis c’est tout à fait ça mon projet. Ce mélange entre fiction et réalité, et cette référence à cette phrase que l’on peut voir au début des romans ou au cinéma collait parfaitement à mon propos. Du coup, je ne me suis pas posé trop de questions, et j’ai repris la phrase telle quelle, tant cela me semblait naturel. Dans les interviews, on m’a souvent posé la question depuis, de pourquoi ce choix de l’anglais… C’est vrai qu’il y a peut-être une facilité à mettre le titre tel quel en anglais. J’avoue que c’est venu très naturellement sans vraiment être un choix.
La façon dont vous traitez les images leur donne à la fois un aspect pictural et onirique. Comment avez-vous procédé techniquement ? Comment avez-vous pensé l’utilisation du sténopé ?
Il y a finalement peu de technique et beaucoup de place à l’imprévu et à l’accident. Pour ce projet, je me suis servi de sténopés très différents, allant de la simple boite de thé trouée, à une chambre que j’avais achetée chez b&h, plus une batterie d’appareil en plastique (type Diana) qui permet de travailler avec des pellicules et transformables facilement en sténopé. L’exposition est aussi aléatoire, travaillant plus à « Bisto de naz » qu’à la cellule. De toute façon, j’utilisais des papiers périmés, aux sensibilités variées et qui m’étaient de toute façon inconnues. Alors, c’est beaucoup d’à peu près, d’expérimentations. Les surexpositions, et sous-expositions, ont à l’origine parfois ce côté très pictural comme sur la photo de la route enneigée. Les photos étaient développées durant les ateliers, ou le soir dans ma salle de bain, et là encore, les accidents étaient fréquents.
Filtres, superpositions, déchirures, flous, noir et blanc : le Couserans est-il propice au conte ? Les fantômes aiment-ils ce territoire pyrénéen ?
Oui, le Couserans est un décor évident de conte. De la cité médiévale de Saint-Lizier au Mont Valier, c’est une terre de légende, mystique, un écrin fantastique pour les récits. Il y a les contes pyrénéens d’antan auxquels se rajoutent des croyances parfois proches de l’animisme que l’on retrouve chez nombre de Couseranais. Une énergie certainement propice aux fantômes qui viennent se glisser dans mes photographies.
Les motifs du sommeil et de l’animalité guident votre regard. Based on a true story est-il un rêve éveillé ?
Je crois que cette ambiance onirique est transversale à plusieurs de mes travaux, tout comme cette sensation d’étrangeté et d’animalité. C’est quelque chose que l’on peut retrouver dans ma série Joséphine par exemple. Ici c’est vrai que j’ai voulu avec mes images créer un nouveau conte qui pourrait être un rêve éveillé à la manière d’Alice au pays des merveilles ou du Magicien d’Oz. Un rêve qui mélange les croyances anciennes aux nouvelles, qui mélange aussi les populations. Ce récit pose des questions autour de notre rapport à la nature, notre histoire intime, notre enfance et de nos croyances.
Vous aimez les westerns ?
Les westerns, oui, sont sûrement un de mes genres favoris ! Ceux de Siergo Leone bien sûr, ou encore Dead Man (Jarmusch) qui ont été des références dans ma jeunesse. Plus récemment, je peux citer Dark Valley (Andreas Prochaska) et True grit (des frères Coen), ou celui écrit par Céline Minard (Faillir être flingué) et depuis toujours il y a eu tant de BD passant de Blueberry à Texas cowboy, ou encore celles d’Hugo Pratt qui ne sont pas des westerns au sens originel (sauf peut-être Jesuit Joe) mais qui en reprennent tellement les codes ! J’aime dans ce genre qui s’inscrit définitivement dans la fiction ce mélange d’aventures, de territoires extraordinaires, de croyances, d’interculturalité, et bien souvent aussi cette absence de morale ! Je n’ai jamais fait de lien direct entre ce goût et mon travail photographique, mais on doit sûrement y trouver des traces et c’est sûr que le Couserans est un décor propice à un western contemporain.
Votre travail auprès des habitants du Couserans a-t-il été initiatique ou vous a-t-il rapproché de vous-même ? Domine la sensation d’une aventure intérieure et d’une série de petites renaissances.
Initiatique, je ne sais pas. Mais cette résidence a été, c’est certain, une expérience forte sur le plan personnel, photographique et émotionnel. Le côté immersif sur deux mois y est pour beaucoup, je pense. C’est un temps où j’ai réellement coupé avec mon quotidien, mon mode de vie. Une denrée rare aujourd’hui. Sans être une rupture, ce projet a été un champ d’expérimentation formidable qui m’a permis de passer un cap dans ma pratique artistique. Les rencontres que j’ai faites là-bas, tant avec la nature, qu’avec les habitants m’ont profondément bouleversé et interrogé sur mon mode de vie. C’est un territoire avec qui j’ai créé des liens forts, j’y reviens d’ailleurs régulièrement depuis. Ma famille n’a pas été en reste, puisque elle venue vivre avec moi sur place une partie de la résidence. C’était aussi une nouveauté, finalement tellement évidente, de partager ce temps de résidence, de travail avec ma fille et ma compagne, qui ont vécu aussi à leur façon le Couserans.
Quels sont vos projets actuels ?
J’aimerais bien repartir en résidence sur un nouveau projet et un nouveau territoire (pas forcément en France d’ailleurs), mais les propositions sont rares et les places sont chères. Pour le moment, je n’ai pas trouvé ou pas été sélectionné… Je suis par ailleurs en résidence sur le quartier de la Falgalarié à Aussillon. Un projet qui fait suite là aussi à un travail participatif amorcé lors d’une précédente résidence en 2015 sur le même lieu. Par ailleurs, je travaille avec un musicien (Hélios Quinquis) que j’ai justement rencontré lors de cette résidence dans le Couserans. Il fait partie des gens qui avaient ouvert leur maison pour y monter une chambre noire. Ce projet qui mêle texte, photo, captation sonore, musique et film interroge notre rapport à la nature et plus largement la question de la préservation de notre monde dans un futur incertain. Ce projet étant autoproduit, il avance à un rythme bien plus lent car mené à côté de nos autres activités. Tout comme la série Joséphine qui suit son cours. Sinon, je vais exposer à Fotolimo un travail sur Ceuta dans une forme nouvelle, puisque, en plus des photos, le texte fait aussi partie de l’exposition. Ce travail sera également présenté et accompagné des travaux sur Gibraltar et Andorre pour les dix ans de Signatures (l’agence dont je fais partie) à L’oeil en scène à Sanary-sur-mer, puis lors d’une soirée de projection au festival de Mérignac. Cela fait une rentrée chargée, d’autant plus que nous avons d’autres projets en cours avec Signatures, qui aboutiront cet automne et cet hiver. Mais mon projet le plus sûr et le plus proche est de partir quelques temps en vacances en famille à travers la France…
Propos recueillis par Fabien Ribery
Arno Brignon, Based on a true story, éditions Photopaper, textes d’Arno Brignon, Marie Lajus, Henri Nayrou, Jean-Noël Vigneau, 2017, 164 pages