Ecce homo, une saison en vallée d’Aspe, par Pierre Adrian, écrivain

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C’est un livre qui fait tout simplement un bien fou, non parce qu’il serait un beau voile d’illusion, mais parce qu’il apaise par sa vérité, fût-elle difficile, âpre, voire dérangeante parfois.

Des âmes simples  est le deuxième ouvrage aux éditions des Equateurs du jeune Pierre Adrian (un demi-siècle) après La Piste Pasolini (2016), qui était une enquête sur la persistance tenace du désir d’un nom.

Un récit très incarné (première personne assumée), des descriptions précises, sèches et lyriques (la langue sonne), des rencontres, des dialogues, l’emploi régulier du style indirect libre.

Des âmes simples construit en quatorze chapitres suivis d’un épilogue un triple portrait, celui de la vallée d’Aspe, dans les Pyrénées Atlantiques (treize villages), celui de frère Pierre, moine prémontré, curé du monastère de Sarrance, 76 ans, dont cinquante de vallée, et celui de l’auteur lui-même (autre Pierre), ayant quitté Paris le temps d’un long hiver, cherchant à vivre mieux, élargi, émancipé de lui-même.

La vallée d’Aspe ? c’est une possibilité de monde dans le non-monde, l’île des bienheureux, un territoire pour reprendre vie, mais aussi un lieu de solitudes terribles et de drames.

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La première scène du livre est à cet égard magnifique et brutale : Jean, qui ne supporte pas son divorce, se suicide en voiture avec ses deux enfants. Le véhicule dévale un chemin de beauté, une route d’enfer. Le gave gronde en contrebas, un crissement de pneus, à peine, c’est fini.

Comment avoir la foi ? Comment tenir dans le froid ? Comment être à la hauteur ?

« Ils seraient mes personnages, ces hommes de la France du dedans. Celle qu’on voit mal puisqu’on lui marche dessus. »

« En quittant la vallée pour la première fois, cet été-là, je savais que je reviendrais. J’écrirais. Ce qui repousse les caméras m’attire. Ceux qui trébuchent, ceux qu’on ne voit pas. J’aime le fond de la classe. Le saccage et le sursaut, la poudrière, le foutoir, la beauté, les rêveurs : tout est au fond, chez les invisibles. »

Les peu visibles, ce sont Alain, qui a fui Douai et une vie de violence, Xavier, à la retraite après avoir travaillé dur à l’usine du coin, Albert, le sage de quatre-vingt-dix ans, Olivier, homme en colère, Andrée qui s’occupe de la sacristie, Etienne, la mémoire du train dans la vallée, les drogués venant trouver refuge au monastère, cherchant plus ou moins consciemment la communion mystique avec la Vierge.

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La vallée, c’est une interrogation permanente, sur les conditions du vivre-ensemble, ou non, la réouverture polémique de la ligne de train Oloron-Bedous-Canfranc, la présence explosive des ours (plus que deux pauvres bêtes tapies dans les hauteurs).

En vallée, comme partout, il y a le mal, qu’on essaie de repousser par la prière aux offices, à matines, vêpres ou complies.

« C’est à complies que je vois Pierre avec l’impression d’un homme qui connaît aussi ses faiblesses. Dans l’agitation des heures du jour, on ne voit rien. Ici, ivre de fatigue, abandonné à son Dieu, Pierre consent à relâcher les efforts de sa fonction. Il n’est plus « monsieur le curé », il est Pierre, de la région de Navarrenx, où le gave d’Oloron sabre les arpents de terre humide. Elevé entre les cochons et les vaches dans la morale paysanne par des parents instituteurs. Toute son histoire se lève, car à complies, il y a un goût d’achèvement. Le jour décline, et c’est aussi un peu la vie qui finit. S’abîmer dans la mort doit avoir la couleur du crépuscule crépitant. Puis la paix et l’obscurité soudaine d’une chapelle. »

En vallée, on parle encore très souvent le béarnais. Non loin de là, c’est le basque. Identités à défendre, et à réinventer.

Tenter de se connaître, ne plus savoir qui l’on est, s’en remettre à la langue vernaculaire, à l’avenir, à Dieu.

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Fécondes sont ici les réflexions sur la foi, le péché, l’innocence.

L’auteur : « L’homme a trop de vices pour qu’un prêtre les connaisse tous. Il y a certains de mes faux pas auxquels Pierre ne saura jamais répondre. Il garde en lui cette innocence qu’on travestit trop souvent en naïveté. Elle m’éloigne de lui. C’est pourtant un luxe d’être passé à côté de certaines choses. »

Pierre : «  Le cérébral est l’ennemi du cœur. Tu ne viendras pas à la foi par l’intelligence. Par les livres, la philosophie, la théologie. Je crois que l’intellectuel ne voit que la pointe émergée de l’iceberg. Alors qu’avec le cœur, je dépasse mes schémas. Les murs tombent, un à un, par pans entiers. »

On relira souvent certains passages de ce livre à la portée initiatique, parce qu’on en a besoin, parce qu’on est seuls, parce qu’on ne sait plus comment aimer, ni où vivre.

« L’église est dans la ville comme une mairie, un bureau de poste et un bar-tabac. Par les hommes et pour les hommes. Lieu de paix et d’infinie violence. »

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Pierre Adrian, Des âmes simples, éditions des Equateurs, 2017, 192 pages

Editions des Equateurs

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leslibraires.fr

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  1. Scaliger Didier dit :

    Merci pour cet article et ces photos. La Vallée d’Aspe et le village d’Escot ont pour moi une valeur proustienne. C’est là que nous venions finir les vacances d’été, ( le temps n’était toujours pas fameux ) dans une auberge qui faisait bureau de poste-épicerie-café-Hôtel-restaurant, ‘ ( au pied du « pic » de Roumandares ( orthographie incertaine ) mais attention, tout ce que nous mangions était fait maison, toutes les volailles venaient de la basse-cour, les truites étaient pêchés par le fils de la patronne dans le ruisseau proche qui descendait du col de la Marie-Blanque qui n’était pas encore goudronné ( depuis c’est régulièrement un passage obligé du Tour de France pour passer de vallée d’Aspe en vallée d’Ossau ).
    Les plats de truites étaient rabelaisiens, tout était copieux, je n’ai jamais retrouvé ça ensuite nulle part. L’aubergiste était veuve, et tenait la boutique avec ses deux garçons et ses deux filles. Le soir, les ouvriers qui travaillaient sur un chantier ( tunnel ou barrage, je ne sais plus ) venaient consommer, et les chants polyphoniques béarnais résonnaient dans cette petite pièce. En fin de saison, il y avait le bal avec lampions, accordéon dans le garage. A côté de l’auberge, une femme que nous voyions à sa fenêtre, parlait avec nous tout en découpant des semelles de chaussure destinées à l’usine d’Oloron. La dernière fois que je suis passé, l’auberge avait fermé. Tout était consommé.

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