
Photographic Fields, de Joël Van Audenhaege, fondateur des éditions belges ARP2 Publishing, est un livre surgi d’une nuit profonde.
Imaginez une longue convalescence, un homme alité, hagard, hébété, des documents qui s’amoncellent, parce que la boite aux lettres est, elle, en pleine forme.
Dans son ensommeillement, sa fièvre, le malade prend quelques photographies de ce qui est là, tas de feuilles, assemblages nés du hasard, factures impayées, puis n’y pense plus, laissant le temps percuter ses quelques instantanés (usage de l’Instantflex), modifier leurs couleurs, inventer des formes nouvelles.

Analogiques, voici maintenant ces images rephotographiées en numérique, ne cessant donc de muter, de se déplacer, jusqu’à devenir Photographic Fields, soit un ensemble de mondes flottants, de nuages d’inconscient, d’espaces de projection et de libération des fantasmes.
Ce sont des radiographies de radiographies, quinze images de guérison, la mort au travail retournée par la vie du geste esthétique.
Ce sont des satoris de sublime indifférence, des tests anthropomorphiques cérébelleux, des champs de méditation faisant songer aux peintures des minimalistes américains, à Barnett Newman, à Mark Rothko.
Quand la santé vacille et que le tremblement de l’être se fait odyssée intime, l’invention de rites de désensorcellement est une nécessité de survie.

L’œil photographique devient alors une sorte de corps de substitution, ou une âme intacte parcourant les couloirs de la mort imminente.
Les images fantômes de Joël Van Audenhaege ne montrent rien, mais disent tout en se taisant, comme une source inépuisable de rêves.
Ces nocturnes sont des variations d’âme, des expériences de transmigration.
Dans un texte fabuleux, La Part des anges, Antonio Guzman évoque la première image, manquante, de laquelle l’ensemble des autres procèdent, laissant son écriture voyager auprès des noms avec lesquels on se sent bien, Pascal Quignard, Jacques Derrida, Hélène Cixous, Maurice Merleau-Ponty, Michel Foucault, Roger Caillois, Daniel Arasse.
Tous ont approché l’énigme de l’œil, du détail, du sexe, et de la dialectique visible/invisible.
Les aubes remuent, et les jours, et les aurores, et les paupières.

« Autant qu’il y a du lâcher prise et de l’abandon, qu’elles soient imprévues, qu’elles ne sont pas préméditées, intentionnelles ou recherchées, piquées ou ciselées, ce n sont toujours pas les imges d’une tête brûlée, crues, tourmentées ou hallucinées, du fond d’un naufrage. Le hasard du coup de dés mallarméen a fait qu’elles sont apaisantes et oniriques, limbiques. Elles échappent, en attente, en réserve du visible, vacillantes, en amont ou en aval d’une épiphanie. »
Les images de Joël Van Audenhaege sont des voiles d’illusion, précieux, parce que dans leur ténuité même, ils disent la vie qui est, se précise, s’éloigne, crie.
Joël Van Audenhaege, Photographic Fields, texte (anglais/français) d’Antonio Guzman, ARP2 Publishing / Classe moyenne, 2018 – deux cents exemplaires
Romain Pruvost de Classe Moyenne Editions vous accueille