
Los Duelos y Quebrantos est un plat traditionnel typique de la région de Castilla-La Mancha en Espagne.
Il est composé essentiellement de chorizo, d’œufs et de lard.
Cervantes le mentionne dès les premières pages de son Don Quichotte, mais c’est aussi le titre d’un livre du photographe Sebastián Bruno.


Si la cuisine est l’âme d’un peuple, nul doute que l’ouvrage de l’artiste espagnol relève aussi d’une façon savante d’associer les ingrédients.
Un plat savoureux comme métaphore de la composition d’un livre de photographie ? Pourquoi pas.
Les images sont en noir & blanc, parfois sur doubles pages avec rabat, il n’y a presque pas de texte.


Bienvenue en territoire inconnu.
Sur la couverture toilée façon vintage nous accueille le trophée d’un cerf piqué d’épingles fines.
Vous qui entrez ici abandonnez toute certitude, car s’imposeront les règles de la magie noire.

Image 1 : le plat.
Image 2 : un tissu historié montrant Don Quichotte, Sancho Panza et leurs fidèles montures.
Image 3 : des mottes de terre sèche faisant songer aux agglomérats de nourriture de l’image 1.
Le cadre est posé, maintenant il ne faut plus chercher à tout comprendre, mais deviner, se laisser happer par chaque photographie conçue comme élément d’un vaste puzzle mental, ressentir plus qu’intellectualiser.
Los Duelos y Quebrantos n’est cependant pas qu’un plat, ou un livre, c’est aussi une arme idéologique, puisque cette recette porcine était servie aux juifs et musulmans convertis pour prouver leur bonne foi chrétienne.
Les terres sont arides, semi-désertiques, plombés de soleil.
Vivre ici demande de savoir survivre, et d’accepter sa place dans l’ordre des choses.
Sebastián Bruno construit des énigmes visuelles, ses images fonctionnant comme des amorces de fiction.
Une main passe le porche en bois d’un immeuble bourgeois ? Appel à l’aide ou simple prise de température ?
Accoudé au bar, un, vieil homme contemple une photo de Franco collée au mur. Nostalgie, rage ou indifférence ?

Au pays de Buñuel, la surréalité n’est pas une fantaisie de littérateur, mais l’un des aspects de la quotidienneté.
Ouvrez la bouche, une pomme se dirige vers vous.
Secouez l’olivier, il en tombera peut-être un dieu.
Buvez, bâfrez, allongez-vous nu sur les cailloux : le cochon que vous venez de tuer mérite bien cela.
Trop de chaleur, trop d’alcool, trop d’attentes. On s’allonge sur le lit comme on se prépare à mourir.

On donne un baiser à la vierge avant que de revêtir sa veste de torero.
C’est le pays de l’âpreté et des veuves noires, des cruautés cachées et des regards perdus.
L’ennui y est abyssal.
Le sens est à construire, à la façon d’un fouillis fouilla d’œufs, de lard et de chorizo.
Sebastián Bruno, Duelos y Quebrantos, Ediciones Anomalas, 2018