Le grain de sable et le grand contexte, 26 architectes sur la plage de Deauville, par Michel Tréhet, photographe

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© Bernard Vaudeville

C’est un projet apparemment impertinent, et que l’on trouve très vite riche de sens : proposer à vingt-six architectes de renom de retourner sur le sable afin d’y construire l’édifice de leur choix.

Sur la plage de Deauville, depuis deux ans, Tina Dassault, commissaire de l’exposition Archisable présentée à la Cité de l’architecture & du patrimoine (catalogue éponyme chez Xavier Barral), propose donc à des très grands de l’architecture de créer des formes de sable.

L’enjeu est ainsi de quitter les bureaux d’études pour renouer avec le plaisir enfantin d’imaginer des structures éphémères menacées par les marées, que Michel Tréhet photographie dans un noir & blanc très expressif, prolongeant ainsi quelque peu leur fragile existence.

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© Dominique Jakob et Brendan Macfarlane

Il y a ici du sublime à confronter les rêves de sable à la force des éléments les dissolvant.

Paul Andreu imagine une explosion, un chaos primordial, que magnifique l’œil du photographe. On ne sait s’il s’agit de la manifestation d’un volcan souterrain, ou de quelque objet chu du ciel. La tonalité est fantastique, révélant l’autonomie de la matière.

Michel Cantal-Dupart invente des cubes de sable tels des blocs de pierre disponibles pour l’érection d’un temple futur, à moins qu’il ne s’agisse des restes d’un labyrinthe précolombien.

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© Anne Feenstra

Le sable est partout, le sable est cher, le sable est rare, dont les puissances mondiales se font aujourd’hui concurrence, pillant cette ressource après en avoir épuisé tant d’autres.

Dominique Châtelet imagine avec brio des séries de pyramides, ces objets de mystère ici ramenés à la hauteur d’un enfant.

Des coquillages s’agrègent au sable, qui sont des concentrés de l’histoire de la vie sur terre.

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© Corinne Vezzoni

Par son travail, Jérôme Damiens prolonge cette vision d’une antique hominisation par la prouesse architecturale. Ses lignes de signification peuvent faire songer au désert irakien tel que photographié par Sophie Ristelhueber durant la Première Guerre du Golfe, cette geste invisible (Jean Baudrillard/Paul Virilio).

Dinah Diwan forme des mamelons de sable, des ilots pourléchés par la mer, inscrits dans un entrelacs de signes sur le sol provisoirement damé. Des tanks ont pu passer peut-être à cet endroit, ou les pas d’astronautes en mission ayant cru à une planète lointaine.

Patrice Doat joue au land art avec une grande efficacité visuelle. Du château puissant d’Elseneur ne restent que quelques fondations entre lesquelles s’engouffrent les vagues.

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© Franck Hammoutène

Tout ceci est superbe, très évocateur, et l’on pourrait longuement décrire les travaux de chacun, de la très belle inventivité minimale de Frédéric Druot au dérisoire Mur de l’Atantique (Manche) de Franck Hammoutène.

En attendant les barbares, des architectes en liberté réinventent par le sable leur désir d’édifices.

Les traces de Léna Soffer et Jana Revedin sont des lignes de trois fois rien, une modestie de sillons formant dans la joie tout un monde d’arcanes cérébelleux.

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© Jérôme Damiens

En fin de volume, chaque artiste livre quelques-unes de ses intuitions, de ses rêveries, ainsi Didi Pei : « J’ai pensé à Richard Serra. Je voulais une muraille. Je l’imaginais aplatie en haut, mais le sable a commandé. »

Ou Corinne Vezzoni : « Réfléchir au contexte en présence. / Aucune référence précise. / Un cercle qui raconte le rapport au ciel. / Intervenir sur la pente légère de la plage, / et s’y opposant, la révéler / Un petit morceau de plage qui se soulève, un coquillage / qui s’ouvrirait pour regarder vers la mer. / Ouvrir génère une incidence sur le sable. / Des risées de plus en plus amples vers la mer. / Le cercle est enveloppé par l’eau et s’efface lentement. / Nulle agression. La matière se fond dans l’élément. »

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Archisable, photographies Michel Tréhet, textes Tina Dassault, Franck Nouchi, Francis Rambert, Patrice Doat, Editions Xavier Barral, 2018, 192 pages – 102 photographies

Editions Xavier Barral

Exposition à la Cité de l’architecture & du patrimoine (Paris), du 4 mai au 17 septembre 2018

 

Site de la Cité de l’architecture et du patrimoine

Les architectes qui ont joué le jeu :

Paul Andreu (France), Marc Barani (France), Michel Cantal-Dupart (France), Dominique Châtelet (France), Marie-Hélène Contal (France), Jérôme Damiens (France), Dinah Diwan (États-Unis), Patrice Doat (France) Frédéric Druot (France), Anne Feenstra (Pays-Bas), Antoine Grumbach (France), Franck Hammoutène (France), Anne Heringer et Marc Rauch (Allemagne), Dominique Jakob et Brendan MacFarlan (France), Yann Kersalé (France), Didi Pei (États-Unis), Jana Revedin (Autriche), Nathalie Sabatier (France), Léna Soffer (France), Roger Taillibert (France), Isabelle Taourel (France), Youssef Tohmé (Liban), Bernard Vaudeville (France), Corinne Vezzoni (France)

Se procurer Archisable

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© Paul Andreu

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