






En voyant la nouvelle série photographique de Frédérick Carnet (présenté dans L’Intervalle pour son livre The ghost cars, éditions Trema Förlag, 2016), j’ai souhaité la transmettre en intégralité aux lecteurs de L’Intervalle, en lui laissant tout son mystère.
Prises à l’argentique moyen format en forêt et au flash, ces photographies s’imposent immédiatement comme des puissances surprenantes, les masques conçus par Marion Even transformant chaque corps en divinité étrange.
La romancière Clarisse Gorokhoff, auteure de Casse-Gueule (2018) et de De la bombe (2017) chez Gallimard, a imaginé un texte pour accompagner ces images.
Il s’intitule Rien à cacher, le voici :
« Rien.
Nous n’avons rien à cacher.
Ce que vous regardez fixement n’a rien à voir avec des masques.
Ce sont des alluvions – la sédimentation de nos âmes
Chiffonnées, défraîchies, fanées, flétries, froncées, marquées, plissées, ridées,
Usées mais
PURES.
Blanc sans ombre
Inlassable noir.
Nous sommes des êtres non dissimulables.
De nous, il n’y a rien à montrer, rien à cacher. Voyez !
De nous, il n’y rien à déchiffrer car…
Nous sommes la friche : terre vierge, heureuse d’être en état d’inculture.
Cache ta face, que je voie ton âme ! grondent en cœur la terre, la pierre, le vert. Les feuilles s’emballent, les épis se dressent, les branches se déchaînent. Et nous sommes là, de tout notre poids, chair vivante dans la chair vive du monde.
C’est elle qui nous cultive
(Elle nous tire vers le haut en nous enracinant).
Et c’est pour mieux lui offrir notre âme que nous cachons nos faces, toutes, de la plus terne à la plus scintillante. Face à elle, nous n’avons ni figure ni posture. Nous sommes essences pures.
Rien. Nous n’avons plus rien à cacher.
Elle n’est pas notre mère, encore moins notre idole.
Elle est notre origine et notre crépuscule.
Nos coulisses intérieures et le point culminant de nos êtres.
Nous sommes la chair de sa chair. Et vous aussi.
Alors faites comme nous : ne cachez
Rien,
Vous n’avez rien à cacher. »
Site Gallimard – Clarisse Gorokhoff