La Goutte d’Or, mélange d’ADN, ou pas, par la photographe italienne Elena Perlino

©ELENA PERLINO_SQUAT ŒCUMÉNIQUE DERRIÈRE L'EGLISE SAINT-BERNARD
© Elena Perlino

Les Français connaissent, au moins depuis 1877 et la parution de L’Assommoir d’Emile Zola, les conditions de vie difficiles dans le quartier parisien de la Goutte d’Or.

On a de ce quartier ouvrier l’image d’un lieu de perdition, de misère, et d’insalubrité. Des appartements étroits, peu de lumière, la promiscuité, des petitesses morales. Le chômage, la drogue, les trafics en tous genres.

Un livre très dense en photographies, pariant sur l’or plutôt que sur le fiel ou les impasses, bourré de vie comme on évoquerait des bâtons de dynamite s’entrechoquant sans exploser vraiment, vient libérer notre imaginaire et rétablir ce quartier pauvre en sa vérité, qui est une mosaïque en recomposition constante, une juxtaposition de communautés, d’individus aux parcours multiples, et qui sait inventer parfois, sans idyllisme, des chemins de conciliation entre tous.

Paris Goutte d’Or est le fruit d’un travail immersif de plusieurs années mené par la photographe documentaire italienne Elena Perlino.

Son ouvrage (éditions Loco) tient dans la main comme un livre de poche, il est monté cut comme on balance des riffs ou des lyrics en tous sens dans une chambre d’échos les faisant se superposer.

La vie éclate, un peuple est là, inventant cahin-caha les lignes d’une existence possible.

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© Elena Perlino

Une synagogue, des djellabas, des voiles, des torses nus, des casquettes à l’envers, des cartons dans le caniveau, des habits perdus, un chien attaché, des bouteilles d’eau vides, un drapeau algérien, des rastas en extase, une boulangerie arabe, des lignes de chemin de fer, des objets de piété, des chaises, des couples, des affiches, une bagarre à la batte de Baseball.

Paris Goutte d’Or est un corps-à-corps avec la réalité, incroyablement belle, terriblement indocile, affreusement violente.

Le regard de la photographe n’est pas de surplomb, mais de fraternité difficile, s’enchantant, malgré les heurts, les malheurs, les tensions de toutes sortes, de la capacité humaine à perdurer dans son être, et à le déployer coûte que coûte.

La Goutte d’Or est un laboratoire, un incubateur, un lieu de passage.

©ELENA PERLINO_ALGÉRIE QUALIFIÉE AU CHAMPIONNAT DU MONDE
© Elena Perlino

On y vient, on y reste, on rêve d’en partir, on s’y installe pour toujours.

On a les yeux et le corps du Mali, de Bosnie, du Sénégal, du Sri Lanka, de partout, avant que de devenir parfois, assez souvent, citoyen de France.

La Goutte d’Or est une Babel essentiellement horizontale.

Voici quelques légendes de photographies, qui en disent long : « Femme au marché Barbès », « Olympic Café », « La salle de prière rue Stephenson », « Vendeur de wax », « Squat œcuménique derrière l’église », « Fête d’El Aid », « Matelas dans la rue », « Jeux de dames en hiver », « Traces d’un incendie dans une boutique de tailleur ».

©ELENA PERLINO_COW BOY A LA MAISON
© Elena Perlino

En fin d’ouvrage, la géographe Marie Chabrol évoque dans un entretien la gentrification relative du quartier, les stratégies d’achat des néo-occupants, propos complétés par ceux des géographes urbanistes David H. Kaplan et Charlotte Recoquillon évoquant la population d’origine sub-saharienne et l’importance des groupes ethniques dans l’économie générale des échanges en ces lieux.

La Goutte d’Or change, mélange ses ADN, ou pas, mais reste un point de résistance à l’uniformisation générale de nos villes.

9782919507917

Elena Perlino, Paris Goutte d’Or, texte de David H. Kaplan et Charlotte Recoquillon, entretien avec Marie Chabrol par Edith Canestrier, éditions Loco, 2018, 204 pages – environ 120 reproductions en couleur

Editions Loco

Elena Perlino

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