Kola, Péninsule secrète, par Céline Clanet, photographe

On ne connaît presque pas, on ne connaît pas la Péninsule de Kola du côté du port de Mourmansk, appelée aussi « Laponie russe », territoire arctique situé à l’extrême-nord-ouest de la Russie, entouré par la Mer Blanche et la Mer de Barents.

Il nous faut pour rencontrer ces territoires où la vie est rude bien davantage que des comptes Instagram, mais le travail au long cours d’une artiste photographe, Céline Clanet, sensible à la diversité des visages, paysages et climats d’un espace à bien des égards secret, ayant abrité pendant l’ère soviétique la plus grande concentration d’installations militaires et d’armes nucléaires au monde.

A Kola, entre industries minières lourdes et activités militaires intenses, vivent les Sami, peuple nomade, éleveur de rennes, tentant de maintenir vives ses traditions, malgré la volonté d’assimilation/acculturation par la puissance russe.

Tout ceci crée le disparate, tout ceci forme un livre à la couverture rose, comme un défi, publié aux Editions Loco, Kola, ouvrage protégé d’une jaquette dépliable montrant sous format poster le port de Mourmansk en janvier.

Une carte de la Péninsule, des photos satellites très belles, mystérieuses, le sillage de navires. Ce que nul ne peut voir d’habitude, fors la gent miliaire, et que nous voyons pourtant, confortablement installés près d’un feu de cheminée dans un fauteuil de notre salon.

En ces lieux de glace, la moindre lumière sur l’océan paraît un incendie.

Il a beaucoup neigé, les voitures sont piégées, les immeubles ont froid, espérons qu’il reste un peu d’alcool dans le réfrigérateur.

Les regards sont mélancoliques, la nuit tombera bientôt pour deux longs mois, tandis que les bateaux resteront au port, moteurs pétrifiés.

Une femme vétéran exhibe un nombre impressionnant de médailles. Pourtant, la guerre n’a pas un visage de femme.

Quels secrets révèlera la toundra une fois l’été venu ? des vêtements abandonnés ? des ossements ? un squelette de navire ? une station radar épuisée ?

Anna regarde l’objectif. Elle a les cheveux roux, des ongles orangés, une écharpe multicolore, et porte un manteau blanc. Ses yeux bleus sont ceux d’une louve d’or.

Musique pour le dégel, musique pour le cheval de parade, musique pour Luba, dont la croix orthodoxe touche l’orée de ses seins lourds, musique pour Vladimir, Van Gogh polaire, musique pour l’homme au chat roux.

L’Afghanistan est loin, qui n’a pas épargné les hommes du Nord.

Tout est bleu, blanc, éclairs de feu, nuit, matins superbes et blêmes.

Dans un texte de fiction accompagnant le livre, Christian Garcin écrit : « Les gens qui ne connaissent pas la région ne peuvent s’imaginer ce que cela signifie de vivre dans un monde d’une telle violence et d’une telle beauté, un monde d’exaltation et de mélancolie, toujours en attente, à la fois brûlant de froid et engourdi d’ennui, un monde marqué par l’insondable nuit polaire et les brèves étincelles qui parfois la trouent. »

Maintenant place aux rennes (partie 2 du livre), à la campagne, au mode de vie traditionnel et aux aurores boréales.

Aucun passéisme dans le regard de Céline Clanet, mais l’attention aux gestes du travail, à l’étrangeté des animaux, aux mines délaissées, aux cimetières parsemés de palissades colorées.

Aucune recherche d’exotisme à tout prix, mais la vie telle qu’elle va, les lieux tels qu’ils vont, les êtres humains tels qu’ils inventent leur existence au-delà de l’hostilité.