
C’est un livre dont on comprend immédiatement qu’il est pour ses éditrices, Nathalie Mayevski & Delphine Delastre, et leurs amies, un chouchou.
Un livre sulfureux et secret, une tempête de délicatesse dans un gant de cuir noir, un contrebandier de la pensée à l’époque des calomnies sexistes.
Pourquoi une femme attachée, liée, ligotée, peut-elle paraître si belle, son pouvoir de séduction décuplé ?

Publié à New York par Belier Press, Inc. en 2016, Attachements, de John Willie, arrive en France par les bons soins des éditions Imogène.
Le titre est excellent, qui dit à la fois la privation de liberté et la force affective du lien.
Mort à 59 ans en 1962, John Willie est un photographe et dessinateur britannique spécialisé dans le bondage et le SM sophistiqués, en outre créateur et rédacteur en chef du célèbre magazine Bizarre.

Les femmes qu’il ficelle à la fin des années 1930, en Australie, à New York ou Los Angeles, alors que le puritanisme oblige les amateurs de sexe à s’aimer dans des grottes, sont d’adorables poupées de chair adeptes des supplices raffinés exaltant leur plaisir.
La plupart du temps en sous-vêtements, en bas et soutien-gorge, ces créatures acceptant la soumission révèlent un arrière-monde sexuel à la fois primitif – le fantasme du viol et du bâillon – et ultra-codifié.
Il faut un œil amusé, de l’humour, pour regarder un tel album, et ne surtout pas jouer le rire contre la jouissance.

Madame qui acceptez d’être quelques instants écartelée êtes aussi la ménagère parfaite croisée un peu plus tôt dans les rayons d’un supermarché, poussant un caddy auquel vous rêvez peut-être d’appartenir.
C’est l’instant du déguisement, celui du loup masquant le visage, des talons hauts et des menottes.
C’est l’entrée dans la métamorphose désirable de l’épouse modèle en putain de l’après-midi.
C’est l’heure du cinéma, des crucifixions impossibles, des seins tendus à se rompre, et des petits cris de supplication.

Les beautés de magazine laissent enfin entrevoir la vérité de leurs fantasmes accédant au plaisir par le morcellement de leur corps.
On ne fait pas cela, on ne s’exhibe pas ainsi, on n’avoue pas d’habitude ce qui nous hante chaque nuit.
Voilà pourquoi de telles séances de pose sont délicieuses, délectables, et qu’elles manquent sans nul doute quand elles viennent à disparaître.
Il y a une fadeur, voire un ennui, du sexe majoritaire.

John Willie, esthète suprême, cherche par l’œuvre d’art les voies d’une jouissance supérieure.
Nous sommes au théâtre, au moment où le bateau coule, mais où nous pouvons aussi nous enchanter d’avoir connu les mystères de la jungle sexuelle.
Quelquefois, le photographe met en scène une femme attachant une autre femme. Est-ce une revanche ? Une prise de possession ? Ou simplement une solidarité de genre dans les mécanismes amenant le corps à la volupté.

On peut penser à Hans Bellmer, à Pierre Molinier, à Gilles Berquet, à tous ces aventuriers des mondes souterrains.
On pense maintenant à John Willie, artiste nécessaire quand la dictature de la bien-pensance interdit la représentation de l’inavouable.
Décidément, l’éducation sexuelle n’en est qu’à ses balbutiements.
John Willie, Attachements, texte de J.B. Rund, traduction Georgina Tacou, Editions Imogène, 2018
Une capsule temporelle de la photographie fétiche bdsm moderne. Chic, légèrement démodé mais toujours puissant et érotique.
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