« L’obscurité sacre l’ouïe. »
C’est un ouvrage-hommage en trois sets légers, blagueurs, profonds, à un homme pesant 240 livres, mesurant 1,90 mètre, un géant du jazz, Oscar Peterson, pianiste canadien, maître du trio en lévitation, né en 1925 et mort en 2007 selon la propagande.
Il est écrit par Romain Villet, pianiste lui-même, à la façon d’une partition pour conférence discutée, nommée My Heart Belongs to Oscar, titre inspiré bien entendu du saucisson de Cole Porter, My Heart Belongs to Daddy.
« Un saucisson, c’est un morceau que tout le monde connaît (ou presque), une chanson ou un thème qui est dans toutes les têtes, l’un de ces fameux standards autour duquel les jazzmen n’en finissent pas d’improviser ensemble. »
Sur la page blanche, les mots ont le swing, galopent, interpellent, dérivent.
« Tiens, tant qu’on y est, vous savez ce que c’est un gentleman ? C’est quelqu’un qui sait jouer de l’accordéon et qui s’en abstient. »
Nous sommes au spectacle, tous les coups sont permis, sans oublier cependant la belle formule de Roland Barthes : « Improviser, c’est habiter une structure au présent. »
Nous sommes chez Maurice, le fameux club de jazz Montréalais. Dizzie Gillepsie est dans la salle, aux côtés de Bud Powell, Bill Evans, Count Basie, Michel Petrucciani, Chet Baker, Keith Jarrett, Duke Ellington, Herbie Hancock, Lester Young, Art Tatum, Dexter Gordon, Errol Garner, Ella Fitzgerald, Marilyn Monroe, Aretha Franklin, Charlie Parker, Archie Shepp, Brad Mehldau, et même le dédaigneux repenti Thelonius Sphere Monk.
Sur scène à la batterie Ed Thigpen, à la contrebasse Ray Brown, au piano Oscar Peterson.
C’est un show, c’est un pur moment d’incarnation.
Et le jazz vint avec l’amour : « La môme Emma était magnifiquement armée, genre fille de bonne famille, khâgne, danse classique, latin, grec, un auteur de la Pléiade à chaque anniversaire depuis ses premières règles, du genre à remettre le nez dans Les Fleurs du mal dès qu’elle arrête de renifler la vôtre. Elle jouait du piano, bien sinon très bien. Ça nous permettait de jouer à quatre mains dès qu’on se lassait de jouer à quatre pattes. Elle voulait nous faire jouer du jazz. Je résiste. Je déteste. Jusqu’à notre rencontre, mes petites mains ne pétrissent que de la très grande musique. »
Bientôt, le jazz détesté fera jubiler l’ardent amant : « Ah ! le swing de Peterson ! On m’avait bien dit que les hommes descendent du singe, certains en pente douce, d’autres avec l’air d’en tomber à pic. Mais j’ignorais qu’ils pouvaient descendre du swing. »
Romain Villet connaît Candide, qui connaît Pangloss, qui connaît Leibnitz : « La musique est un exercice d’arithmétique secrète où l’esprit ne réalise pas qu’il compte. »
Pianiste noir, souvent humilié, « traité comme un chien, pire qu’un chien », Peterson fut-il un artiste engagé ? « Contemporain des Blacks Panthers, il ne lève jamais le poing, convaincu que sa main n’est nulle part mieux à sa place que sur le clavier de piano qu’il fait chanter et swinguer comme personne. »
Anagramme de concert ? concret. Anagramme de trio ? riot. Anagramme de jazz ? jazz.
Vous le voyez, le jazz n’a pas de couleur, c’est une musique universelle.
My Heart Belongs to Oscar par Romain Villet, c’est la réécriture en 2019 du cogito de Descartes : je jazze donc je zuis.
Romain Villet, My Heart Belongs to Oscar, Le Dilettante, 2019, 80 pages – 1515 exemplaires
peterson mon enfance, villet mon age serein; merci her Ribery
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