Elégie pour Natalya, par Pauline Hisbacq, photographe

Natalya
©Pauline Hisbacq

Photographe très sensible à la période de l’adolescence, Pauline Hisbacq construit son œuvre dans la fascination de ce que représente cet âge intermédiaire, ce hors-temps peut-être.

En 2016 paraissait chez September Books, Natalya, livre reprenant des images issues de retransmissions télévisées des Jeux Olympiques de Moscou en 1980, montrant la jeune gymnaste soviétique Natalya Shaposhnikova dans des moments de solitude et de mélancolie.

Pauline Hisbacq ne s’attache pas ici d’abord à une performance sportive, mais au langage du corps dans ses moments inaperçus.

Le travail sur la pixellisation des images fait se lever à la fois nostalgie et merveille, dans l’attachement éprouvé envers un visage adorable.

Il y a dans le travail de la photographe une érotique pour le temps qui ne passe pas, et la façon dont les corps le traversent, en leur intégrité et leur porosité.

Natalya
©Pauline Hisbacq

Votre œuvre est parcourue par le thème de l’adolescence. Pourquoi un tel intérêt pour cette période sensible ?

Depuis le début, c’est un thème qui m’est cher. Je suis fasciné par cet âge car il me paraît, en tout cas je le regarde comme cela, « d’un autre temps », ou hors du temps. Un âge clos sur lui-même. L’enfance est ouverte à tout, l’âge adulte est l’âge de la construction, de la projection, de l’ancrage dans le réel. Pour moi, l’adolescence est l’âge poétique. C’est aussi un intérêt esthétique. Je trouve les visages en devenir très beaux, comme une promesse. Je ne me lasse pas de regarder et d’écouter les adolescents.

Natalya
©Pauline Hisbacq

Vous utilisez pour Natalya (September Books, 2016) des images issues de retransmissions télévisées des Jeux Olympiques de Moscou en 1980. Vous veniez alors de naître. Auriez-vous pu être Natalya ? Votre livre est-il un fantasme d’origine ?

La correspondance des temps est troublante en effet ! Je n’ai pas pratiqué la gymnastique plus jeune, mais elle me fascine depuis longtemps. Je n’ai aucun lien familial avec l’Europe de l’Est. En revanche, je m’interroge sur ce personnage, que je montre un peu lunaire et seul. Il doit se jouer, c’est certain, un tour de l’inconscient. On m’a déjà fait remarquer qu’il y avait quelque chose de l’ordre de l’autoportrait dans ce travail. C’est peut-être un peu vrai.

Natalya
©Pauline Hisbacq

Natalya Shaposhnikova symbolise-t-elle pour vous l’obstination, l’audace et la pudeur au-delà du formatage des vainqueurs imposé par le totalitarisme communiste à l’ère de la Guerre froide ?

Mon travail ne se situe pas dans une lecture politique ou historique de la gymnastique. De plus, j’ai cherché justement à évacuer la question de la performance dans le livre, et on ne voit jamais l’effort, la compétition en acte. La série se construit au contraire dans le hors-champ des Jeux Olympiques, pour laisser l’enjeu proprement sportif de côté et évoquer alors ce qu’on voit : le langage des corps, la mélancolie des visages, la solitude, quelque chose du sentiment adolescent. La gymnastique en est le décor. Elle me permet d’observer et de raconter autre chose que ce que le sport met en jeu. C’est ce qui m’intéresse, le glissement des perceptions et du sens à donner aux images. J’ai trouvé dans le contexte de la gymnastique l’occasion d’observer cela, rien de plus.

Natalya
©Pauline Hisbacq

Pourquoi préférer Natalya Shaposhnikova à la star du genre, Nadia Comaneci, qui triompha en 1976 aux Jeux Olympiques de Montréal ?

En réalité, lorsque j’ai commencé mes recherches Nadia Commanecci était mon personnage. J’envisageais alors un travail plus conceptuel et politique. En regardant les vidéos, j’ai fini par comprendre que le visage que je regardais et que j’avais envie de photographier n’était pas celui de Nadia mais d’une autre fille, Natalya. Le projet a donc évolué vers autre chose, il s’est concentré sur la question du portrait, la perspective d’une pratique photographique en manipulant des images « volées », le glissement vers la fiction à partir de sources documentaires… Le travail sur la couleur, l’enjeu du pixel pour dire la mémoire nécessairement altérée et nostalgique.

Dans ma pratique du portrait il y a essentiellement le plaisir de regarder un visage.

Natalya
©Pauline Hisbacq

Vous avez entamé une série sur les ruines de Pompéi. Votre recherche n’est-elle pas de l’ordre d’une méditation sur le temps, son passage, et ce que peut l’art pour le restituer, le filtrer, voire l’arrêter ?

Le travail sur Pompéi est un peu particulier. C’est la première fois que je travaille sur un lieu. Mais j’ai compris qu’étaient encore en jeu des intentions récurrentes, en premier lieu l’amour, la poésie, le sentiment. Je suis allée à Pompéi pour voir ce qu’était le territoire dévasté, mais qui est aussi le territoire qui réconcilie les cœurs. J’avais vu les films de Rossellini, Stromboli et Le Voyage en Italie, et dans les deux, le volcan est un baume existentiel. La fête et les cendres (le titre du projet est encore provisoire) est donc un travail romantique. Certes, la question du temps est là encore. Ce que peut l’art ? je ne sais pas. En tous cas, dans ce travail sur Pompéi, il est aussi question de la puissance symbolique du volcan, des ruines et de la résilience, et de regarder le paysage à l’image de son propre paysage intérieur. Finalement comme Natalya, ou comme les images du Feu, qui jouent comme des miroirs, des échos. Et je continue à y photographier des corps, même s’il s’agit de corps « pétrifiés », des sculptures antiques, dont j’essaie de révéler l’érotisme. J’ai commencé ce projet en même temps que j’ai commencé à travailler au musée Rodin où je photographie les sculptures. Il y a de la porosité entre les deux je crois.

Natalya
©Pauline Hisbacq

Le Feu (September Books, 2018) est une approche de l’érotisme à partir d’une collecte d’images trouvées sur internet. Natalya est-il aussi à sa façon un livre sur l’érotisme et le mystère des états du corps modifié ?

Il y a quelque chose de l’érotisme, mais avec pudeur. Dans Le Feu, c’est plus franc !

Avez-vous pensé à la petite danseuse de Degas en sculptant votre Natalya ?

Non pas du tout, jamais.

Natalya
©Pauline Hisbacq

N’y a-t-il pas également un effet Blow-Up (Antonioni, 1966) dans votre façon de vous rapprocher au plus près des détails d’une archive ? Qu’y avait-il de stupéfiant dans le corps et la tête de la jeune gymnaste venue de l’Est ?

Oui, et j’utilise de plus en plus le close-up. Dans Natalya, il n’y a aucun recadrage, mais c’est peut-être par ce travail que je me suis rapprochée de plus en plus de mes sujets par la suite et que j’ai intégré le recadrage dans la fabrication des images. Dans Amour adolescence (chants d’amour) il y a beaucoup ça.

Sur Natalya en particulier, ma fascination pour elle tient aussi au fait que j’ai pu l’observer sans réserve jusqu’à épuisement, puisque mes sources étaient des vidéos déjà existantes. Je regardais un fantôme, un souvenir, une apparition.

Natalya
©Pauline Hisbacq

Vous avez étudié à New York. Que retenez-vous de cette ville et de vos leçons américaines ?

J’ai fait mon post diplôme à l’International Center of Photography de New York, l’été qui a suivi mon diplôme à l’ENSP d’Arles. Je n’y ai pas appris grand-chose, mais j’ai suivi quelques cours d’été volontairement très éloignés de ce que j’avais étudié à l’école d’Arles. La photographie culinaire par exemple. La chance de ce séjour, c’était le soutien à un projet de recherche avec une bourse conséquente. J’ai travaillé pendant trois mois sur une libre relecture en images de L’Attrape-cœurs de Salinger, qui est le roman de mon adolescence. Le projet s’appelle Holden, comme le personnage du livre.

J’ai adoré New York, y être étrangère, de passage, l’arpenter tous les jours. C’est une ville qui m’a fait l’effet d’une amie, d’un compagnon. J’y repense souvent.

Sur quoi portent vos recherches actuelles ?

J’achève le travail sur Pompéi et le Vésuve. Je poursuis des recherches sur l’amour courtois et la tradition médiévale des troubadours occitans. Je vais prendre aussi du temps pour faire des portraits.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Pauline Hisbacq, Natalya, texte Pauline Hisbacq, conception graphique Olivia Gautier-Jubé & François Santerre, September Books, 2016 – 200 exemplaires

Site de Pauline Hisbacq

September Books

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