Les territoires méconnus de la République, par Marie-Hélène Bacqué, sociologue, et André Mérian, photographe

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©André Mérian

C’est un retour sur la ligne du RER B, en mai 2017, entre l’élection présidentielle et les législatives.

Près de trente ans après François Maspero et Anaïk Frantz, dont le livre Les Passagers du Roissy-Express est devenu un classique, la sociologue Marie-Hélène Bacqué et le photographe André Mérian refont la même route, observant la mutation et la persistance d’un territoire méconnu, écrasé sous le poids des représentations convenues sur la banlieue.

Apparaît en ces pages la très grande diversité d’une France marquée intensément par la mondialisation, tout en continuant à valoriser ses ancrages locaux.

J’ai souhaité ici entendre la parole d’André Mérian, et donner une autre visibilité à ses images, dont le volume Retour à Roissy ne rend pas bien compte, ne leur accordant trop souvent qu’une dimension d’appoint.

Le travail est celui d’un auteur sensible aux architectures, aux signes graphiques de la réalité, à la façon dont s’organise et s’écrit un paysage.

Quelle peut être la position la plus juste pour un photographe découvrant la banlieue au fil des pas ? Comment assumer la sensation, quelquefois, d’une effraction ou d’un vol d’images ? Comment ne pas trahir, gauchir, réduire, simplifier ?

Ici, mots et images se complètent et s’enrichissent bien plus qu’ils ne se redoublent, le regard de chacun étant véritablement singulier.

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©André Mérian

En entamant votre périple avec Marie-Hélène Bacqué, aviez-vous précisément en tête les photographies d’Anaïk Frantz qui a publié en 1990 au Seuil avec François Maspero Les Passagers du Roissy-Express, soit le voyage de gare en gare de Roissy à Saint-Rémy-Lès-Chevreuse correspondant à la ligne B du RER, en sautant les stations de Paris ?

J’avais entendu parler de cet ouvrage de François Maspero et d’Anaïk Frantz depuis longtemps, mais je ne le connaissais pas, et lorsque Marie-Hélène Bacqué m’a contacté pour ce projet, je me suis empressé de l’acheter. Je l’ai lu et observé attentivement les photographies. Il est toujours compliqué de revenir sur les traces d’un tel projet, c’était pour nous un sacré challenge. Je connaissais également les écrits de François Maspero par rapport à la photographie de voyage, notamment dans les Balkans. Bien sûr que les photographies d’Anaïk étaient présentes dans mon esprit, mais je n’ai pas cette culture de la photographie humaniste, et je pense qu’à cette époque il était beaucoup plus aisé de photographier les gens. Maintenant, nous sommes systématiquement confrontés au droit à l’image.

A quelles difficultés avez-vous été confrontés durant votre voyage ?

Avec Marie-Hélène Bacqué, nous nous sommes rencontrés fin 2016 et à Paris début 2017, pour se connaître et parler du projet. La question qui est venue tout de suite : comment documenter un voyage, surtout après l’ouvrage de François Maspero et d’Anaïk Frantz. En général j’effectue des repérages avant les prises de vues, mais là nous avons opté pour une forme « d’aventure », se laisser aller, et ne jamais revenir en arrière. Pendant trente jours, nous avons logé à l’hôtel en banlieue, sans jamais revenir sur Paris, pour rester en immersion. La difficulté qui se posait régulièrement entre nous était d’évaluer si je volais les images de la banlieue, question fort intéressante, n’est-ce pas ?

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©André Mérian

Comment avez-vous sélectionné vos photographies ? Quels étaient vos choix formels ? Avez-vous cherché à équilibrer présence humaine et présence des paysages/architectures ?

La sélection des images a été très longue, nous l’avons faite ensemble. Pour moi, il s’agit d’abord d’une commande, et non pas d’un travail de recherche personnelle. Même si nous avons fait le même voyage, nous n’avons pas forcément vu les mêmes choses, cela aurait été d’ailleurs très ennuyeux. L’articulation textes et images a constitué un exercice intéressant. Auparavant, j’ai beaucoup photographié le paysage périurbain en France et à l’étranger. Comme Marie-Hélène est professeur d’études urbaines à l’Université de Paris Ouest-Nanterre, nous avions quelque chose en commun sur la question du paysage et de l’architecture. De plus, elle connaît bien cette partie de la banlieue ainsi que beaucoup de gens qui y vivent, ce qui a facilité des rencontres. Nous avons pu réaliser des interviewes ainsi que des portraits, et ces personnes nous ont fait visiter leur territoire. Sans ces contacts, il m’aurait été impossible de réaliser certaines images. Effectivement, j’ai alterné humains et paysages pour la sélection des images.

Avez-vous rencontré une France que vous ne connaissiez-pas, voire ne soupçonniez pas?

Je connaissais très peu la banlieue, juste pour aller prendre l’avion à Roissy. Pour moi, ce fut une découverte, car j’imaginais naïvement la banlieue faite essentiellement de grands ensembles. Oui, j’ai rencontré cette nouvelle « France », j’ai l’impression que j’ai voyagé dans différents pays du monde ! Europe, Proche-Orient, Asie, Afrique.

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©André Mérian

La présence de la nature ou d’une forme de ruralité vous a-t-elle frappé quelquefois?

Oui, j’ai été assez surpris par la présence de la nature, notamment par le grand nombre de parcs, et par une forme de ruralité, surtout autour de Roissy, vastes plaines, no mans ’land, et par l’installation de nouveaux agriculteurs qui se lancent dans la production de cultures bio.

Avez-vous éprouvé dans cette banlieue de Paris qu’on méconnaît et recouvre de représentations négatives plutôt un sentiment de vide ou de plein, d’absence ou de présence ?

Non, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de présence dans ces territoires, dans une forme de fourmillement née d’un grand mélange de cultures, ce qui est fort intéressant et enrichissant. J’y ai croisé beaucoup de personnes qui se questionnent sur l’avenir des banlieues, et qui veulent s’engager politiquement.

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©André Mérian

Vous avez photographié à l’argentique. Pourquoi ce choix ?

Je photographie toujours à l’argentique, j’aime ce temps de latence entre la prise de vue et le résultat de l’image. Nous sommes dans un monde où l’immédiateté est omniprésente, et ce temps de réflexion est essentiel pour moi. À Sevran, j’étais en train de photographier une tour, de manière la plus discrète possible, et quand je suis parti, j’ai été pourchassé par des jeunes qui voulaient récupérer mon matériel, mais comme ce n’était pas un appareil numérique, et qu’il ne représentait pas une valeur marchande, et que j’ai expliqué la technique argentique, ce qui a calmé les choses, ils m’ont laissé parti !

Que vous évoque, après votre travail, l’expression « territoires perdus de la République»?

je pense que les pouvoirs publics n’ont pas toujours été forcément à l’écoute des populations. La banlieue a toujours été un enjeu électoral.

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©André Mérian

Dans la conclusion de son texte, Marie-Hélène Bacqué parle de nostalgie, née de «l’absence d’horizon » et d’ « une forme d’impuissance face à des changements imposés ». Avez-vous ressenti cela également ?

Oui, je suis en accord avec la conclusion de Marie-Hélène Bacqué. Je pense qu’il manque une forme de démocratie pour que les habitants puissent exprimer leurs avis sur la question de la transformation et de la mutation de leurs territoires.

Etes-vous retourné à Bagneux photographier la mosquée avec entrées séparées pour les hommes et les femmes, désir confié à Marie-Hélène Bacqué, qui le rapporte?

Oui, j’ai fait l’image à Bagneux de la mosquée pour femmes – page 282 -, mais c’était un moment délicat, nous étions en plein ramadan, je n’ai pas pu faire ce que je voulais, photographier l’entrée des hommes avec celle des femmes.

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©André Mérian

Une phrase de conclusion ?

Sur la partie du RER B de Roissy jusqu’à Paris, il se passait beaucoup de choses, il y avait une tension, tandis que dans la partie sud vers Saint-Rémy-Lès-Chevreuse l’ambiance était résidentielle, calme. Pour moi, c’était perturbant.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Marie-Hélène Bacqué et André Mérian, Retour à Roissy, Seuil, 2019, 352 pages

Editions du Seuil

André Mérian

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