
Stephen Dock est un photographe de presse, travaillant dans le monde entier, généralement dans des zones de conflit.
Il ne s’agit pas pour lui d’accroître la misère par la misère de la représentation, mais bien au contraire d’ouvrir des axes de réflexion, et de miser sur le hors-champ, ce qui ne rentre pas dans le domaine des attendus du journalisme mainstream pour la richesse de l’à-côté et de l’oublié.
Sa photographie n’esquive rien, mais ne se complaît pas dans le spectaculaire, sans en dénier, quelquefois, la force de crudité.

Avec Human Interest Stories, les éditions Sometimes posent la question de la prévalence de l’actualité immédiate comme force d’occupation mentale, et de ce que les stratégies de la presse dominante occultent, c’est-à-dire la quotidienneté, une certaine forme de banalité et de temps considéré par elle comme mort.
Contre la mise en œuvre de la logique du sensationnalisme par l’industrie du divertissement journalistique, Stephen Dock montre des images discrètes, contemporaines car d’une certaine façon inactuelles, c’est-à-dire non soumises à la péremption instantanée.

Le photoreporter rend à l’événement sa puissance d’intempestivité, en s’attardant, par exemple en Syrie, sur les ruines, les mises au tombeau, le portrait des martyrs, dans des images très sombres, proches de l’effacement.
A l’œil de faire le point, à l’esprit de penser mieux, plus finement.
Gros plan sur une tente plantée dans le sable et la rocaille, sur les tissus accablés de soleil, sur les fils de fixation.

Une sandalette abandonnée, des roches, une absence.
Le portrait d’un garçon de dos, regardant ce que nous ne verrons jamais.
Puis, soudain, c’est le choc, au mitan de l’ouvrage, une double page remplie du sang de brebis égorgées.
C’est l’instant du sacrifice duquel tout procède, de l’arche d’alliance entre les hommes et Dieu, qui est aussi son envers, la métaphore des agneaux surarmés s’entretuant dans la haine.
Tout était jusqu’alors plongé dans le gris, dans l’obscurité, mais la vérité est là, dans le rouge écoulé, dans l’enfant (page suivante) marchant seul vers son destin, devant un mur perclus d’impacts de balles.

La mort est là, omniprésente, dans le visible et l’invisible, elle empeste et fait peser sur chaque image le soupçon de sa férocité.
Maquetté avec beaucoup d’intelligence, Human Interest Stories ne raconte pas une histoire linéaire, mais offre des fragments de vie jusque dans l’abîme ou le rien.
Il est hanté par la disparition et le mal.
Pour son premier livre, Stephen Dock ne transige pas, qui connaît la folie des actes meurtriers, et l’indécence des vautours humains.
Composé d’images n’ayant pas été retenues par ses commanditaires, il montre en creux notre aveuglement et la violence idéologique du choix des décideurs.
Human Interest Stories ou « la résilience du photographe » (Charlotte Guy, son éditrice) à l’heure de l’instrumentalisation planétaire du regard et de la propagande de la mort.
Stephen Dock, Human Interest Stories, éditions Sometimes, 2019, 24 pages et couvertures à rabats, reliure Singer fil noir – 200 exemplaires numérotés
Signature le vendredi 5 juillet 2019 à 18h sur le stand de Tipi Bookshop à Temple Arles Books