
Don de la Fondation Roy Lichtenstein en mémoire de Harry Shunk et de János Kender (2014) Photographie : Shunk-Kender
© J.Paul Getty Trust. Tous droits réservés. © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Photothèque RMN-Grand Palais
Durant près de trente ans, le duo Harry Shunk et Janos Kender a photographié des plasticiens et performeurs dans un véritable face à face avec l’événement auquel ils participaient.
Dans un ouvrage étourdissant, contenant plus de huit cents images, publié à l’occasion d’une exposition au Centre Pompidou, l’ampleur de leur travail est révélé au grand public, dans une farandole endiablée d’une centaine de noms, « inventeurs, comme l’écrit Bernard Blistène, Directeur du Musée national d’art moderne, de nouvelles formes, en Europe et aux Etats-Unis entre les années 1950 et la fin des années 1990 ».
Acquis par la Roy Lichtenstein Foundation en 2008, le fonds Shunk-Kender (environ 190000 images) montre ainsi au travail des artistes aussi prestigieux et passionnants que Josef Albers, Yves Klein, Alexandre Calder, Daniel Buren, Niki de Saint Phalle, Trisha Brown, Jean Fautrier, Dan Graham, Hundertwasser, Richard Serra, Lou Reed, Martial Raysse, Gordon Matta-Clark, et tant d’autres.

Don de la Fondation Roy Lichtenstein en mémoire de Harry Shunk et de János Kender (2014) Photographie : Shunk-Kender
© J.Paul Getty Trust. Tous droits réservés. © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Photothèque RMN-Grand Palais
p
Classées en des catégories alléchantes – Intimités, Corps en action, Arts & grands espaces, Le Monde des galeries, Andy Warhol & Cie, Art & Nouvelles Technologies – ces photographies nous font parcourir en noir & blanc une bonne part de l’histoire de l’art de la deuxième moitié du XXe siècle, de Vito Acconci à la Factory, du groupe Experiments in Art and Technology à Yayoi Kusama.
En outre, précise le commissaire d’exposition Glenn R. Phillips, « les liens privilégiés du duo Shunk-Kender avec le couple d’artistes Christo et Jeanne-Claude se révélèrent particulièrement fructueux : plusieurs milliers de photographies, dans ces archives, offrent un témoignage essentiel sur leurs activités et projets les plus importants tout au long des années 1960 et du début des années 1970. »

Don de la Fondation Roy Lichtenstein en mémoire de Harry Shunk et de János Kender (2014) Photographie : Shunk-Kender
© J.Paul Getty Trust. Tous droits réservés. © Adagp, Paris 2019 © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Photothèque RMN-Grand Palais
Shunk-Kender, L’art sous l’objectif (1957-1983) alterne ainsi portraits d’artistes dans leur atelier et images les montrant en pleine création.
Les performances témoignent d’une atmosphère de recherche permanente, d’une volonté de placer le corps au centre du jeu des regards, notamment sa nudité, de faire bouger les lignes de la représentation et de la bienséance artistiques.
Nous sommes ici du côté de l’avant-garde, de la vie, du risque, du flux.

Don de la Fondation Roy Lichtenstein en mémoire de Harry Shunk et de János Kender (2014) Photographie : Shunk-Kender
© J.Paul Getty Trust. Tous droits réservés. © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Photothèque RMN-Grand Palais
Yves Klein nous regarde d’un air effaré, c’est un djinn, une émanation du feu et du chaos primordial.
Arman pose comme un pape au milieu de la décharge lui servant de réservoir de matériaux, avant que de se faire coiffer chez lui, à Nice, par Harry Shunk lui-même. La complicité est évidente, la vie peut être drôle et inventive, à l’instar de celle des ludions sérieux Daniel Spoerri et Jean Tinguely.
Nouvelles réalités.
Apparaît Man Ray, air sévère, irréductible, fou, sublime.

Don de la Fondation Roy Lichtenstein en mémoire de Harry Shunk et de János Kender (2014) Photographie : Shunk-Kender
© J.Paul Getty Trust. Tous droits réservés. © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Photothèque RMN-Grand Palais
François Dufrêne et Martial Raysse sont photographiés au mitan de leur vie, tandis que chez Jean Fautrier, à Châtenay-Malabry, il y a fête toute la nuit.
Lucio Fontana découpe au cutter ses ciels blancs, alors que Robert Rauschenberg nourrit sa tortue.
On pourrait détailler chaque image, s’enchanter des déesses couvertes de peinture d’Yves Klein, de la beauté butée de Niki de Saint Phalle, des girls emballées de Christo tels des vers à soie dans leur cocon, en ces heureux temps où l’on ne s’épilait pas totalement.
Trisha Brown et Merce Cunningham dansent, inventant le corps de demain, retrouvant celui de toujours.

Don de la Fondation Roy Lichtenstein en mémoire de Harry Shunk et de János Kender (2014) Photographie : Shunk-Kender
© J.Paul Getty Trust. Tous droits réservés. © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Photothèque RMN-Grand Palais
Min Tanaka, nu, le sexe langé, est un médium célébrant la nature sur le toit d’un immeuble new-yorkais : « Le paysage de la nature et celui des corps se rejoignent sur les chemins de leurs propres traditions, un moment de rencontre entre l’extérieur et l’intérieur qui se cristallise dans un style […]. La danse est une volonté modeste. Une volonté de lutte pour ne pas mourir face à la nature. »
La féerie continue avec Jacques Villeglé, Raymond Hains et Mimmo Rotella emportant leurs affiches dans la nuit, avec Claes Oldenburg – qui accueillera le duo de photographes autodidactes aux Etats-Unis -, Michael Snow, Andy Warhol et ses jeunes amis.
Sous l’objectif de l’entité Shunk-Kender défilent de beaux aventuriers de l’art, les photographes s’intéressant tout autant à l’œuvre qu’à l’humanité des artistes portraiturés en des situations parfois aussi triviales qu’également sacrées.
« En phase avec l’art de leur temps, écrit en postface Julie Jones, Harry Shunk et Janos Kender sont en mouvement perpétuel : parmi les premiers à se déplacer hors de la bulle du studio photographique, ils accompagnent les artistes, et vont partout où l’œuvre naît et vit. Devenues, avec le temps, des documents historiques inestimables, leurs images racontent l’esprit d’une génération préoccupée par la libération des corps, du geste artistique, toujours à l’affût de nouveaux espaces alternatifs de création et de diffusion. »
Shunk-Kender, L’art sous l’objectif (1957-1983), sous la direction de Chloé Goualc’h, Julie Jones et Stéphanie Rivoire, avant-propos de Bernard Blistène, textes de Jack Cowart et Glenn R. Phillips, Didier Schulmann, Florian Ebner, Marcella Lista, Julie Jones, Chloé Goualc’h et Stéphanie Rivoire, Editions Xavier Barral / Centre Pompidou, 2019, 482 pages
Exposition Shunk- Kender, galerie de photographies, Centre Pompidou (Paris), 27 mars au 5 août 2019