
J’ai découvert le travail photographique de Ian Dykmans à l’occasion d’une exposition collective récente, L’Abîme du Temps (chronique dans L’Intervalle), dont il était le commissaire, à Bruxelles, dans le quartier de Moleenbeck-Saint-Jean, au Château du Karreveld.
Auteur d’un fanzine autopublié d’une infinie délicatesse, Vivre comme si l’on avait l’éternité devant soi, Ian Dykmans aborde son art comme une recherche fondamentale concernant le principe même du vivant, cherchant l’unité quand l’ordre politico-social néolibéral force à la division.
Ses images semblent hantées, habitées de présences cherchant à être révélées pour enfin communiquer avec nous qui les repoussons généralement par notre aveuglement, ou notre ignorance obstinée.
Nous avons discuté de sa poétique, de ses visions, de sa nécessité d’artiste.
L’Intervalle est très fier de présenter ses œuvres tremblantes et merveilleuses.

Vous avez intitulé votre premier livre, d’après une phrase tirée du classique Lettres à un jeune poète de Rainer-Maria Rilke, « vivre comme si on avait l’éternité devant soi ». Faut-il la comprendre en terme d’urgence existentielle ou comme une sagesse, une formule d’ascèse ? Comment abordez-vous en images la notion de sacré ?
« Vivre comme si on avait l’éternité devant soi », c’est une formule qui fonctionne comme garde-fou dans une société de rentabilité et d’immédiateté. Jodorowski écrit dans La voie du Tarot : « La société fonctionne en bannissant l’idée d’éternité pour associer le temps à l’argent ». Quand je photographie ou que je réalise mes tirages en chambre noire, je cherche l’abandon du mental comme dans une transe, il n’y a ni acte manqué, ni accident, je cherche juste à représenter en image ce qu’il y a de sacré en moi.
J’aime bien l’idée que mes supports soient composés de chimie comme toute manifestation du vivant sur terre, j’accepte volontiers la contrainte comme si c’était la voie à suivre.

Vous êtes très sensible au phénomène des apparitions et à la saisie dans la nature des figures anthropomorphes. Que penser de la capacité « médiumnique » de la photographie ?
J’essaie de faire un avec mon environnement. J’aime quand mes images semblent habitées, qu’il se passe quelque chose au-delà des formes représentées, une image qui vibre, un visage apparait dans un rocher. Je vois un assemblage de formes qui semblent vouloir communiquer avec nous. Déjà en regardant dans le dépoli, je me détache de la réalité, mais ce n’est parfois qu’au tirage que je comprends l’intention cachée de cet arrêt photographique.
Dans chaque, étape je m’arrange aussi pour laisser des portes ouvertes à l’imprévu, je cherche un équilibre entre contrôle et lâcher prise. Le révélateur lith que j’utilise, avec son développement infectieux et son oxydation permanente me convient très bien à ce niveau, jamais deux tirages ne seront exactement les mêmes. On peut avoir une intention, mais c’est le produit qui nous guide.

Votre photographie se situe dans la filiation de Duane Michals, mais aussi de Harry Callahan. Revendiquez-vous ces références ?
Oui, c’est ma professeur Mirjam Devriendt à l’Académie d’Anderlecht qui me les a fait découvrir. J’aime aussi James Bellocq, Francesca Woodman, Yamamoto Massao, Sally Mann.

Vous avez un parcours d’autodidacte. A partir de quand avez-vous décidé de vous engager totalement dans le domaine de la photographie ? Y a-t-il eu un événement fondateur ou une photographie plus convaincante que toutes les autres précédentes ?
Ma mère m’a offert mon premier appareil photo à douze ans. A vingt-huit ans, j’ai senti le besoin de développer ma vision. Je me suis inscrit à l’Académie en cours du soir. J’ai eu de la chance, mon professeur Jacques Courtejoie était remarquable, il m’a ouvert beaucoup de portes. Le va-et-vient permanent entre prises de vue, développement de négatifs et tirages a vraiment aiguisé mon œil, mais il me manquait quelque chose.
Ce quelque chose, je l’ai trouvé en rencontrant ma compagne Myriam Clericuzio, qui est devenue ma modèle, ma muse, ma compagne de création. Avec elle, les images sont vites devenues justes et atemporelles. C’est vrai qu’il y aussi eu l’exposition et la publication du livre BONOM, le singe boiteux avec Vincent Glowinski à l’ISELP [Institut Supérieur pour l’Etude du Langage Plastique, à Bruxelles]. L’expo a connu un succès formidable avec quatorze mille visiteurs, ce qui m’ a aidé à prendre confiance en moi.

Pourquoi tenez-vous à utiliser de vieux papiers ?
Parce qu’il sont beaux ! j’utilise mes vieux papiers avec un révélateur lith, la combinaison des deux crée des blancs vaporeux et des noirs à gros grains très contrastés. Chaque papier possède un grain, une tonalité et une texture propres, mon petit jeu consistant à les marier pour créer une profondeur à l’image. Les vieux papiers transportent avec eux une histoire, une odeur, un vécu. Déclassés, ils sont sortis de la logique commerciale. Le plus souvent, je les reçois ou les échange contre un tirage.
Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un papier, le fomatone, c’est le seul à fonctionner véritablement avec le révélateur lith, mais il est sans grain et est très coloré, je ne l’aime pas trop.

Vos projets sont généralement accompagnés de musique. Vous avez par exemple tenu à associer à votre livre celle du groupe Stills (Pak Yan Lau & Audrey Lauro). Pourquoi ?
Pour moi, une photographie est avant tout silencieuse, sa solitude est capable de nous extraire de nos pensées et du temps. Néanmoins, je trouve que le vinyle est un formidable support de par son format et l’imaginaire qu’il ouvre sur la musique.
Pakyan et Audrey m’ont proposé d’utiliser mes photos comme leur partition, chaque image ayant inspiré une composition. J’étais intéressé de voir comment elles allaient traduire mes images en textures sonores et en mélodies. Le résultat m’a plu et on a fait des très beaux concerts ensemble. Dommage qu’on n’ait pas eu le budget pour en faire un vinyle ! mais la contrainte d’argent m’a permis de faire un très beau fanzine en photocopies sur un papier vingt ans d’âge, qui à l’origine était blanc !

Quels passages et liens possibles entre votre vie d’ex-punk et votre vie nouvelle de photographe ? Allez-vous vers l’apaisement ?
Le punk et le skate m’ont beaucoup influencé, surtout via la pratique du DIY, Do It Yourself. J’ai aimé depuis le début intervenir dans toutes les étapes du processus créatif, boucler la boucle. Il y aussi la valeur d’intégrité, rester fidèle à ses croyances et à ses origines, qui m’accompagne encore aujourd’hui. Je sens toujours le besoin de me défouler sur mon skate, ou de crier dans un micro mais j’ai d’autres besoins aussi qui vont plus vers l’apaisement.
Vous animez un photo club. Quelles en sont les ambitions ? Sur quelles idées directrices l’avez-vous fondé ?
Nécessité, simplicité et bienveillance.
En 2014, je perdais le labo que j’avais dans les caves de mon ancienne maison communautaire et devais trouver dare-dare un nouveau lieu. Mon ami Silvano Magnone m’a parlé d’un vieux photo club existant depuis les années 60 et abandonné depuis au moins trente ans. Avec une amie, Mariana Santos, nous avons proposé au directeur, Marc Rooman, d’ouvrir le labo deux fois par semaine au public et en échange, notre occupation serait gratuite, le centre culturel s’occupant du recyclage de la chimie. Cinq ans après, on en est plus ou moins toujours à ce même arrangement basique. La qualité de notre matériel s’est bien amélioré, le centre culturel nous acheté de très beaux cadres et le matériel informatique nécessaire pour faire des passerelles avec le numérique.
Le message passe bien dans le milieu de la photo. Tout se cale sur une vibration bienveillante, ça se ressent quand on regarde les travaux exposés sur les murs du centre. C’est un lieu de création informel, un peu dans le prolongement de mon enseignement reçu dans les Académies en cours du soir. On organise cinq workshops et une expo par an, et cela fait deux an maintenant que l’on reçoit un premier subside de coordination.

Quels sont vos projets actuels ?
je cherche un lieu adéquat, à Bruxelles ou ailleurs, pour exposer mon travail actuel. je vais essayer de faire un dossier qui ressemble à autre chose qu’un dossier pour le présenter. Je suis à la recherche de cette rencontre qui va le concrétiser.
Propos recueillis par Fabien Ribéry

Ian Dykmans & Stills, Vivre comme si on avait l’éternité devant soi, 2019, autoédition – 100 exemplaires numérotés et signés
C’est magnifique…tout doux et envoutant. Content de découvrir ton travail par ce biais. Merci au journaliste!
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