Please, come again, Richard Pak, une geste photographique

"Krystal Crist", 2005, série Pursuit.
Pursuit © Richard Pak

Photographe français nourri de culture américaine, de gestes libres et d’influences esthétiques hétérogènes, Richard Pak aborde la réalité avec beaucoup de sensualisme.

Son approche de la couleur fait de ses photographies, dans la merveille de l’héraldique revisitée sur les terres de Macadam Cowboy, de véritables blasons.

« Chronique d’un pays fantasmé vu de l’intérieur, au plus près de ses habitants », Pursuit, qu’accompagne un passionnant récit de voyage conçu comme un hors-champ, est un road trip qui ne s’oublie pas, amoureux des femmes et des formes d’un territoire se confondant avec l’imaginaire.

Les Frères-Pareils s’aventure du côté du burlesque et du réenchantement du quotidien.

Nous avons discuté d’une œuvre que L’Intervalle s’enorgueillit de présenter, dans la beauté du contretemps.

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Pursuit © Richard Pak

Pursuit est le fruit d’un travail personnel au long cours, à travers les Etats-Unis où vous vous êtes rendu à maintes reprises entre 2003 et 2009. Quand votre projet a-t-il pris forme ? Avez-vous eu le sentiment de découvrir les lignes de force de votre style, voire de votre méthode de travail (des rencontres, des complicités, des parcours mutuels), durant ces années de pérégrinations américaines ?

En entamant ce travail, je n’avais pas une idée très précise de sa finalité. Il y avait l’envie de confronter l’imaginaire fictionnel que je m’étais fabriqué (à travers la photographie bien sûr, mais peut-être plus encore la littérature américaine et le nouvel Hollywood dont j’étais très amateur à l’époque) avec la réalité de l’Amérique contemporaine. Le désir, pas trop original, de vivre mon propre road trip aussi. Et de continuer à voir le Monde en version originale non sous-titrée, ce que j’avais fait pendant cinq ans en Grande-Bretagne (1998-2003).

Et si le projet a couru sur tant d’années, c’est principalement pour des raisons budgétaires, puisque je l’ai financé aux trois-quarts. Mais c’est au bout du compte ce qui m’a permis d’affiner ma recherche au fil des séjours (six au total) et de réaliser ce que je tentais d’accomplir : la chronique d’un pays fantasmé vu de l’intérieur, au plus près de ses habitants. Les travaux sur les US sont légions, c’est un peu la tarte à la crème, et le plus difficile a été de trouver ce que je voulais faire de différent. Ai-je réussi ? Je vous en laisse juge.

Ce qui m’amène à la méthode. La première moitié du travail a été le fruit du hasard, de mon intuition et de rencontres fortuites. Mais je n’arrivais pas à rentrer chez ceux que je croisais, je restais l’étranger à qui l’on parle du pas de sa porte. Dans un deuxième temps, j’ai donc beaucoup préparé en amont mes voyages pour trouver des volontaires chez qui taper l’incruste. J’ai passé des nuits à consulter des profils sur les réseaux sociaux, principalement Myspace (eh oui, c’est déjà loin tout ça !) et envoyer mes demandes. Et les quelques téméraires qui ont accepté ma requête m’ont présenté à d’autres sur place, etc.

Rhonda, series Pursuit.
Pursuit © Richard Pak

Y a-t-il un sens à vous décrire comme photographe français. Comment considérez-vous votre présence dans le champ de la photographie française ?

Je suis photographe… et je suis français… alors, je vais répondre par l’affirmative ! Mais je crois voir où vous voulez en venir. Il s’agirait d’abord de se mettre d’accord sur ce qu’est aujourd’hui la « photographie française ». Personnellement, je vois assez bien de quoi on parle quand il s’agit des Allemands, des Scandinaves, des Américains, etc. mais pour ce qui est d’une « école française », j’ai un peu de mal. Qu’y a-t-il en commun entre Antoine D’Agata, Marina Gadonneix, Charles Fréger ou Raphael Dallaporta ? pour n’en citer que quelques-uns parmi ceux qui m’intéressent le plus.

Il y a un Français que j’aime beaucoup, tant l’homme que le photographe, c’est Jean-Christian Bourcart (ah ben tiens il est installé à New York…). Il ne s’enferme pas dans une forme, un style, et n’a pas peur d’oser des choses différentes d’une série à l’autre. J’aime cette curiosité et ce sens de la mise en danger, que j’applique modestement aussi à mon travail.

Pour ce qui est de « ma présence etc. »… ce n’est certainement pas à moi de répondre !

"The Fight", 2005, série Pursuit.
Pursuit © Richard Pak

A quel moment êtes-vous véritablement devenu photographe ?

J’ai découvert la photographie à l’adolescence et c’est à l’âge de vingt-six ans que je suis devenu professionnel. C’était en 1998, quand j’ai quitté l’agence VU’ ou j’ai travaillé aux archives pendant quatre ans. Ce furent un peu mes années de formation finalement. C’était une belle période, riche en rencontres personnelles et découvertes photographiques. Mais je savais avant même d’y mettre les pieds (et les oreilles grandes ouvertes) que ce ne serait pour moi qu’une parenthèse avant de me lancer.

"Michelle", 2008, série Pursuit.
Pursuit © Richard Pak

Pursuit commence par le portrait d’une femme, seins nus sous son pull, montrant un tatouage. Une première page totalement argentée en reflète la présence de façon troublante. Qu’est-ce qu’un portrait réussi pour vous ?

Son tatouage est à l’envers, pour qu’elle puisse le lire dans la glace (« Follow your dreams»). La page-miroir d’en face sert donc à cela. Il y a le même procédé à la fin, en face de Hope. Dans l’Urban Dictionary « Epoh » veut dire… déception !

J’ai toujours pensé qu’il n’était pas trop compliqué de faire un bon portrait, mais excessivement difficile d’en faire un excellent. Le portrait réussi est peut-être celui qui « dit quelque chose de ma vie », pour citer The Smiths. Celui dans lequel on se reconnait ou quelque chose qui est en nous, qui fait vibrer une partie de notre être. C’est le portrait qui parle autant du photographe que du photographié, sinon plus. Je ne crois pas du tout à la photographie qui « montre l’âme » du sujet… le bon vieux poncif à la noix. De toute façon, l’âme n’existe pas, donc c’est réglé !

Lora, 2008, series Pursuit.
Pursuit © Richard Pak

Le photographe suédois J.H. Engström compte-t-il parmi vos références premières ?

Non, pas vraiment. J’aime beaucoup J.H. et son travail, mais je ne peux pas dire qu’il soit une référence première quant à ma propre photographie. Mais c’est drôle que vous me demandiez cela, car je lui avais montré le travail en cours et il avait beaucoup aimé les portraits… qu’il m’avait poussé à continuer ! C’est vrai que par mon histoire avec VU’ j’ai été sensibilisé à la photographie suédoise dont je suis très amateur (J.H. donc mais aussi Strömholm, Petersen et le regretté Tunbjork). De là à y voir une influence sur le mien… je ne sais pas.

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Pursuit © Richard Pak

Quels liens chez vous entre photographie et désir ?

Les liens sont nombreux, effectivement. Si vous me parlez désir, je vous réponds femmes en premier lieu, forcément. Dans mon travail en général, et Pursuit en particulier, elles ont une place prépondérante. Elles portent le travail comme elles portent le Monde… à bout de bras et pas souvent aidées par les hommes. « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tout sens lui donnant son équilibre et son harmonie » (L’homme qui aimait les femmes) ! Mais celles que je photographie sont rarement les jolies jeunes filles des magazines. Je les préfère sans fard et qui assument le travail du temps sur leur visage ou leur corps. Désir d’expérimenter aussi (pas que les femmes), de ne pas être qu’un observateur un peu voyeur, mais de vivre autant que ceux que je photographie. D’où aussi la présence des textes. Désir de voir le Monde, de lointains, de voyages…d’exotisme ? Oh le vilain mot !

"Sans Titre (#8503-06)", série "Les Frères-Pareils".
Les Frères-Pareils © Richard Pak

Les personnes que vous photographiez sont-elles toutes des rencontres de hasard ou de saloon ? Maintenez-vous le contact des années après cette expérience artistique et humaine que vous avez vécue ensemble ?

Comme je l’expliquais précédemment, ce sont en partie des rencontres dues au hasard, d’autres dans divers bars et saloons et puis de personnes que j’ai « castées ». J’ai d’ailleurs utilisé un fixeur à un moment donné pour me trouver des volontaires. J’ai gardé contact avec certaines personnes mais assez peu au final.

Vous êtes très sensible au théâtre des jours, à la quotidienne et à la solitude partagée. Pursuit est-il un livre mélancolique ?

Il y a une dimension mélancolique indéniable, peut-être due à mon état d’esprit de l’époque. Je vais mieux, merci ! Mais c’est surtout la nostalgie d’une Amérique que je n’ai pas connue, une construction mentale inatteignable et la vision désenchantée d’un pays fantasmé.

"Sans Titre (#4656-31)", série "Les Frères-Pareils".
Les Frères-Pareils © Richard Pak

Quelle bande son idéale pour accompagner cet ouvrage ?

Je pourrais citer les Pixies, Neil Young, Bob Dylan et bien d’autres, mais j’ai plutôt envie de dire KEXP, une radio que j’ai découverte à Seattle et que j’écoute toujours depuis, en streaming à défaut d’autoradio.

Vous photographiez une Amérique rurale, délaissée, dévorée par la télévision et la déréliction. Avez-vous rencontré un nouveau Far West ?

Je ne suis pas certain que ce soit un nouveau Far West, ni quoi que ce soit d’autre de nouveau d’ailleurs. Au contraire, j’ai l’impression que c’est une Amérique qui a toujours existé et qui n’a pas pris une ride. Celle des petites gens qui courent derrière le rêve américain, l’espoir soit de faire fortune, soit tout simplement d’atteindre ce bonheur promis par la constitution (le titre fait référence au droit à la pursuit of happiness de la déclaration d’indépendance). On parlait dans la presse très récemment du fléau de l’oxycodone, cet anti-douleur très addictif, mais au début des années 2000 c’était déjà d’actualité, ce dont je parle dans le texte.

"Sans Titre (#4656-29)", série "Les Frères-Pareils".
Les Frères-Pareils © Richard Pak

Pursuit est-il conçu comme un journal, à l’instar du texte qui l’accompagne intitulé « Please, come again » ?

Non, je n’ai pas souhaité en faire un journal. La partie photo n’a d’ordre ni chronologique, ni géographique. Pour ce qui est du texte, c’est un peu différent, on se rapproche plus du journal de voyage. Je n’avais pas du tout prévu de l’écrire, c’était d’ailleurs la première fois que je m’y essayais. C’est venu tard dans le travail, lors des deux derniers voyages. C’était avant tout pour me souvenir, me rendant compte de tout ce que j’avais pu oublier des précédents séjours. Et puis je me suis mis à les envoyer à deux amies parisiennes (dont Gilou Le Gruiec, qui dirigeait alors la galerie VU’, une amie proche et conseillère inestimable). Elles m’ont encouragé à continuer, puis à les publier.

Vous évoquez parfois dans votre texte la prise de photos que vous ne montrez pas dans votre livre. Cette tension entre le visible et l’image mentale est-elle recherchée ?

Oui, j’aime bien cette tension, cette frustration que cela peut déclencher en effet, même si ce n’est pas le seul but recherché. C’est juste que le texte n’est pas la légende des photographies et je n’avais pas envie de m’imposer de publier une image simplement parce qu’en j’en parlais. Et réciproquement.

"Sans Titre (#0403-06)", série "Les Frères-Pareils".
Les Frères-Pareils © Richard Pak

Le texte vous permet-il de parfaire le portrait de vos modèles/personnages/rencontres ?

C’est une raison majeure oui. J’ai beaucoup de respect pour la photographie, mais le médium est limité et ne peut pas tout dire, loin s’en faut. J’ai senti le besoin d’utiliser le récit pour partager ces rencontres, ces bouts de vies que l’on m’offrait et que l’image ne peut qu’évoquer. C’est aussi une manière d’utiliser la première personne, ne pas être juste un témoin, mais me mettre au centre du travail et partager un peu l’envers du décor. Je comparerais le texte au hors-champ d’une photographie et qui montre les éclairages, le fond et tous les accessoires qui font une photographie. C’est en tout cas l’image qui me vient à l’esprit. Encore une autre faite de mots donc…

Les Frères-pareils (Filigranes Editions, 2015) est un livre bâti à l’issue d’une résidence à Corbeil-Essonnes en 2014 dans le cadre du festival L’œil Urbain. Pourquoi avoir séquencé votre travail en trois volumes, dont l’un de textes ?

La résidence de L’œil Urbain est un rare et bel espace de création, tant par les personnes qui la portent que par les soutiens logistique et financier offerts au photographe. C’est assez rare pour que cela soit rappelé. La restitution du travail est une exposition pendant le festival, mais la possibilité de faire un livre s’est présentée tardivement, ce dont j’étais très heureux. Nous avons choisi, de concert avec Elisabeth Hebert (L’œil Urbain) et Patrick Le Bescont (Filigranes), de le faire en trois volumes. Le premier qui montre la ville comme le décor d’un film un peu étrange, le deuxième est l’univers de nos deux protagonistes complètement barrés et le troisième le récit de ma résidence, de mon rapport aux jumeaux ainsi que d’autres personnes rencontrées sur place. Sur écran, cela me paraissait une bonne idée mais je ne cache pas que si c’était à refaire je mettrais tout dans un seul volume. Win some, lose some but hey…I’d rather be sorry than safe !

Vous travaillez en coloriste. Quelle est votre approche de la couleur ? Avez-vous agi en metteur en scène en choisissant les accessoires que peuvent être par exemple les pulls ?

C’est à Londres que je me suis mis à la couleur, alors que je ne faisais alors que du noir et blanc. Contraint et forcé par les commandes éditoriales au début, c’est devenu ensuite une préférence, même s’il m’arrive parfois encore d’utiliser la gamme des gris. Quand je fais de la couleur (j’aime bien cette expression avec son côté alchimiste), celle-ci a une importance aussi grande que le motif représenté, le cadrage et je ne sais quoi encore.

"Sans Titre (#0403-02)", série "Les Frères-Pareils".
Les Frères-Pareils © Richard Pak

Il m’arrive effectivement de mettre en scène des images. Ce sont surtout des raccourcis avec une réalité trop longue ou timide à venir. Je me suis amusé avec les pulls des jumeaux (tricotés par leur mère !) pour rajouter une couche d’absurde dans cette histoire, qui n’en manquait déjà pas. Je les ai faits les échanger et si vous regardez attentivement vous verrez qu’ils passent de l’un à l’autre. Cela nous a bien fait rire, à eux comme à moi. Mais ils les portaient déjà de temps en temps, seulement pas toujours en même temps. Les parapluies, par contre, c’est moi qui les ai achetés. Ils ont toujours le jaune et insisté pour que je garde le bleu.

Quelles sont vos recherches photographiques actuelles ?

J’ai entrepris une sorte d’anthologie sur l’espace insulaire. Mes années british en sont le premier chapitre, même si je ne m’en doutais pas à l’époque. Je suis allé fin 2016 sur l’île lointaine et à l’histoire intrigante de Tristan da Cunha, en plein milieu de l’Atlantique sud. J’en ai fait une exposition à Vannes, dont j’avais été lauréat de la bourse du festival. Mais j’ai encore beaucoup de chose à montrer sur ce travail, et même à finaliser (photos mais aussi du récit, de la vidéo, des documents d’archives…). C’est un gros projet pour une toute petite île et je cherche un lieu et un éditeur pour montrer tout ça. A bon entendeur…

Propos recueillis par Fabien Ribery

CouvPursuit

Richard Pak, Pursuit, texte Isabelle Tessier, Journal (Suède) / Filigranes Editions, 2012

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Richard Pak, Les Frères-pareils, volumes I, II, III, Filigranes Editions, 2015

Site de Richard Pak

Filigranes Editions

Heartbreak Ride, series Pursuit

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Se procurer Pursuit

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Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Matatoune dit :

    Merci pour cette découverte d’une étrangeté toute particulière !

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