
Née en 1981 en Belgique, Charlotte Lybeer a étudié la photographie à l’Académie des Beaux-Arts de Gand et à l’Institut des Beaux-Arts d’Anvers.
Sa cinquième monographie, Linus’ Blanket, s’intéresse à la culture de la peur dans une société prise de fièvre obsidionale.

Jusqu’où ira le besoin de protection et la démence de la prévention tous azimuts, quand la menace est ressentie comme omniprésente ?
Linus’ Blanket est un livre de plasticienne, attentive à l’autonomie des objets, à ce qu’ils métaphorisent de nos passions, et à leurs chemins de métamorphoses.

Une fente entre deux rideaux en plastique aux motifs végétaux : le désir, le camouflage, la peur du viol.
Un masque mou, comme fondu, tenu par une main douce : l’impossibilité de se cacher, la dérisoire illusion de protéger son identité.

Quatre hommes en tenue militaire assis sur un tarmac levant le bras pour qu’on ne voie pas leurs yeux : des guerriers d’opérette.
Des billes éparpillées sur un plateau de danse : des douilles, des particules affolées.

Un entraînement de self-défense.
Les vapeurs d’une cuisine : des gaz lacrymogènes.

Une lueur dans la nuit : la lampe de surveillance d’une milice de quartier.
Charlotte Lybeer ne discourt d’abord pas, laissant ses photographies constituer un archipel de sens, avant d’accompagner ses images dans une deuxième partie – en noir & blanc et couleurs vaudou – de légendes, bouts de fiction, ou de témoignages vantant les vertus des instruments et pratiques de coercition.

Un arbuste en forme de fronde, un œil pansé, un désert d’où surgit un mince filet de route, un pistolet made in Taiwan.
Des cieux, des poussières, des jets d’eau.
Le portrait est bien celui de notre monde, inquiet, emmuré, aveuglé.

Un monde où l’on tue, par balle, par lynchage, par bombe, et où l’on prie en silence pour que le feu de destruction ne se propage pas à la terre entière.
Telle pourrait être la fonction de l’art pour la photographe : ne surtout pas dénoncer de façon littérale la folie de sociétés gagnées par la peur, mais créer par l’effroi des images juxtaposées les possibilités d’une traversée du mal en soi.

Comme s’il y avait encore, au bout du bout de la longue nuit de nos inimitiés, après la dernier épisode de Black Mirror et de The Handmaid’s Tale, une possibilité d’innocence.
Charlotte Lybeer, Linus’ Blanket, publisher Pascale De Groote (Anvers), 2019 – 500 exemplaires
