« Il fera longtemps clair ce soir » est un vers de la poétesse Anna de Noailles (1876-1933), dont l’œuvre célèbre la beauté paisible de la nature, la douceur des bords de lac contre l’univers urbain déshumanisant.
C’est aussi un livre de photographie d’Elise Toïdé, dont le décor unique est celui du parc Jean-Moulin-Les-Guilands de Bagnolet-Montreuil (93), son étang, ses friches, ses promeneurs.
Il consacre le plaisir d’être ensemble ou seul dans ce hors-temps vécu comme une parenthèse salvatrice.
« Il fera longtemps clair ce soir, les jours s’allongent, / La rumeur du jour vif se disperse et s’enfuit, / Et les arbres surpris de ne pas voir la nuit / Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent… »
C’est la chance d’un pas de côté, d’un dérèglement des montres, d’un retour au pays natal des hautes herbes et des taillis.
Des barres d’immeubles et des envies de pique-nique.
De l’uniformité architecturale et de l’extravagance vestimentaire.
De l’ordre carcéral et de l’exubérance végétale.
Elise Toïdé ne fait pas la leçon, mais offre des impressions d’être-là, des situations quotidiennes, très simples, dans la complexité du monde : jouer aux cartes sur l’herbe, jouer au football, marcher, faire un footing, faire courir son chien.
Se laisser guider par une sente serpentant entre des fleurs indociles, comprendre la logique des ronces, les contourner, inventer des trajets, adapter son comportement.
Portrait d’une jeune femme rêveuse, portrait d’adolescents endormis, portrait d’un tapis de bois coupés.
Voici des amoureux sur un banc, voici de la mélancolie, voici des Japonaises botanisant.
Au loin, il y a les cheminées des usines de la périphérie de la ville, mais il faut feindre de les oublier.
D’ailleurs, on les oublie.
Guitare, vélos, tee-shirts, c’est l’été.
Des Blacks, une petite Rousse, des sportifs aux jambes blanches, et toute la variété des couleurs de la nature.
Il fera longtemps clair ce soir n’est pas une étude socio-ethnologique sur les habitants des parcs, animaux compris, mais un sentiment de démocratie possible, fragile.
Un parc pour sortir des parcs, avec et pour le peuple.
Pour s’y rencontrer, s’y perdre, s’y retrouver.
« De lointains roulements arrivent de la ville… / La poussière qu’un peu de brise soulevait, / Quittant l’arbre mouvant et las qu’elle revêt, / Redescend doucement sur les chemins tranquilles »
Elise Toïdé, Il fera longtemps clair ce soir, texte Magali Aubert, traduction anglaise Catherine Suriam, EYD, Collection Loci, 2018