
Un voyageur solitaire parcourant des paysages glacés.
Une marche s’arrêtant à la lisière de la démence.
Des larmes gelées, un matin tempétueux, des lumières dans le chaos.
Des efforts de Titan pour ne pas se coucher sous le blanc et se reposer enfin, définitivement.
Une biche, une voiture renversée, le monde muet au bord du sépulcre.
Le compositeur romantique Franz Schubert appelle Winterreise cette aventure hypnotique dans le blanc, que le photographe Christophe Jacrot nomme simplement Neiges, comme la singularité d’une gemme formée de dizaine de cristaux rares prélevés un peu partout sur la planète, à New York, en Islande, dans le Vercors, en Asie, en Russie.
Après le formidable Snjór publié en 2016, Caroline Perreau des éditions h’artpon offre de nouveau un livre grand format remarquablement imprimé à un auteur élaborant son œuvre, loin des tourbillons de la mode, dans le calme souverain d’un regard s’approfondissant, cherchant un chemin entre les vertiges de l’abstraction et le spectacle fascinant du monde tel qu’il va et se recompose lorsque les intempéries le touchent.

« Je ne crois pas à la photo conceptuelle pure et dure, écrit le photographe dans le texte liminaire de son ouvrage, mais à l’œil, au regard, à l’émotion et à la sensibilité. Ma recherche est avant tout formelle, liée au plaisir simple, charnel, de faire des images. Ainsi, comme un paysan de la photo, je « laboure » un endroit que j’ai choisi parce qu’il m’inspire. »
Neiges est un conte parcouru de tunnels, de routes verglacées et de silences.
Neiges est une succession de paysages qui sont des porches, des seuils, des arches ouvrant sur le mystère d’un temps suspendu.
La tempête brouille les repères, et repeint de blanc l’ensemble du visible.
Des moutons avancent dans le brouillard, de gros flocons effacent les chaumières, les églises et les édifices contemporains.
Dernier espoir d’un néon jaune indiquant la présence d’un hôtel dans le glas.

Le ciel menace ou se confond à la terre, il faut rester chez soi encore un peu, quelques mois peut-être.
Les photographies de Christophe Jacrot sont des territoires à contempler, à respirer lentement, à vivre secrètement.
Les volets sont clos, les humains se sont absentés, ils attendent.
Rien d’autre à faire qu’à méditer, qu’à lire, qu’à sommeiller, et fendre encore le bois.
Présence considérable des arbres et des roches, des citernes au sommet des buildings, des conteneurs empilés du transport maritime international, des oiseaux engourdis, des derniers rescapés d’une ville vidée de ses habitants par la puissance du frimas.
Dans la paralysie générale des paysages, des commerces et des êtres, un photographe est là, travaillant en coloriste subtil, peintre modeste et obstiné de la vie moderne, et d’une ruralité refusant de disparaître.
Les corps plient sous la morsure du gel, ce sont des animalcules en capuche défiant le danger du froid, ou des fantômes.
Combat d’une fourmi contre le général Hiver.
Force des architectures posées dans l’espace enneigé, tels des phares ou des amers érigés au bord des précipices.
Tout dort et tout menace.
Tout se fige, dans l’attente d’un Jugement dernier ne venant jamais.
Il faut s’adapter ou mourir.
Il faut se saouler de saké, de whisky ou de vodka.
C’est la beauté terrible des milieux hostiles, propices à la mélancolie et à la guerre des nerfs.
C’est une œuvre photographique au long cours célébrant la beauté du monde blanc et de la petite race humaine, sublime de courage dans la persistance de son être et de ses gestes très anciens.
Christophe Jacrot, Neiges, édition h’artpon, 2019, 208 pages
Exposition d’une quinzaine d’œuvres grand format de Christophe Jacrot à la Galerie de l’Europe (Paris), du 26 novembre 2019 au 4 janvier 2020
Celui-ci ne me tente pas! Bonne journée !
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