
Dein Kampf est un titre violent.
Le photographe Brad Feuerhelm nomme ainsi son livre prenant pour contexte Berlin.
Dein Kampf est un ouvrage inquiet, hanté par l’histoire du siècle des totalitarismes et les scories des idéologies ayant marqué l’espace et les bâtiments d’une ville qui fut l’un des points nodaux de la Guerre froide.
Une ville détruite, bousculée, coupée, marquée par les tensions et le travail du négatif.

En ses images noir & blanc et son montage cut, Dein Kampf organise une tectonique des plaques à la fois sensuelle et angoissée.
Le passé ne passe pas, il est fait de blocs de béton et d’antennes de télécommunication, de macadam craquelé et de pierres renversées, d’arbres décimés et de végétaux ayant tous les droits.
Dein Kampf est un livre de nuit, de brouillards d’êtres et d’indices.

Tout est menacé de disparition, et tout persiste pourtant, des traumatismes et des reconstructions, des efforts pour se relever et des murs aux affiches lacérées.
Dans la noyade générale des perceptions, surgissent des visages, des possibilités de fraternité, des fantômes.
On aimerait s’embrasser par-delà les ondes et les poussières, même sous un mur de ciment.
On aimerait fermer les yeux, expérimenter un peu les joies et vertiges du monde flottant, mais on les a grand ouverts, esprit lucide dans l’analyse.
Le grain sur le page est voluptueux, il est pourtant post-atomique.
Dans la bunkérisation des êtres et des structures, il y a la foi en l’art, la foi en de minces rectangles de vision rassemblés dans un livre.
Il y a les formes du capitalisme triomphant, les traces du Moloch des temps apocalyptiques, les amoncellements de ruines.
Il y a aussi des paupières douces, des lèvres accueillantes, la continuation d’une beauté humaine dans les cendres du temps.
Mais le livre de Brad Feuerhelm est essentiellement minéral et de profonde détresse.

Dans les intervalles entre les images, la mémoire réinvente des séquences historiques inédites, ou se tait.
Dans la numérisation intégrale de nos existences, même un pan de mur gris persistant dans son être relève désormais du miracle.
Brad Feuerhelm, Dein Kampf, designed by Nicolas Polli & Morgan Crowcroft-Brown, texte d’Ulrich Baer, MACK (London), 2019
