
Voici un objet sidérant, et intersidéral.
Voici l’Eve future d’Yves Trémorin, soit le module EVA (Extra-Véhiculaires), structure de papier et de fer, d’électronique et de nacre, flottant dans l’espace éditorial français comme un exosquelette.
Sur fond noir, issus des abysses de la nuit, apparaissent des objets de grande science, bourrés d’ingéniosité et de savoir-faire artisanaux, des mains articulées et des chairs en latex.


Ce pourrait être une leçon de magie ayant lieu dans de hautes sphères, le laboratoire d’une unité spatiale ou la chambre secrète d’une navette suspendue dans le roulis de l’univers.
Qu’il photographie des masques mexicains ou des inventions de haute technologie, Yves Trémorin s’intéresse au radicalement autre, au non réductible, à ce qui fascine et laisse interdit, déroute le langage ordinaire et invite au poème, au feu, à l’ivresse des profondeurs.

Un jour, les robots seront peut-être plus vivants que nous-mêmes, plus beaux, plus durables.
On appelle cela le transhumanisme, l’homme augmenté par le péché d’hubris. C’est effrayant, et c’est réconfortant lorsque l’on est empêché.

Le vieil Homère se retourne dans sa tombe, il peut désormais voir, mais ne comprend plus rien des batailles entre les Grecs et les Troyens, entre Athéna et Poséidon, entre Ulysse et le Cyclope.
« Essai d’investigation photographique », EVA aborde les territoires de l’intelligence robotique comme une vaste rêverie. et une inquiétante étrangeté.

Le tissu moléculaire y rencontre l’absolu de l’extériorité, et le squelette d’homme une mécanique plaquée sur du vivant infirme.
La science fait de la prestidigitation, apprenant la jongle avec des osselets en matière synthétique.
Les rencontres du Troisième type ont lieu désormais chaque jour.

Maman pleure des larmes d’huile chaude coulant sur mon visage, je l’aime.
Les Lego prennent le pouvoir, c’est la revanche des petits garçons butés inventant des monstres dans le coin de leur chambre.
Caresse de fer d’une main à l’intelligence artificielle, grand écran du casque d’un cosmonaute, boursouflures de protection contre le froid de l’univers.

Rendez-vous demain matin pour le lancement d’un nouveau satellite, pour modéliser en 3D des cœurs embryonnaires de souris, beaux comme du marbre de Carrare, et étranges comme des fossiles sous-marins, par ailleurs très érotiques.
Yves Trémorin photographie l’odyssée de l’espace, de l’espèce, de l’espèce d’espace où nous nous obstinons à être, entre réticulation des désirs et artefacts réticulés.
Voici donc les conques de la conquête ultime perçues comme un conte.
Yves Trémorin, Extra-Véhiculaires, textes d’Yves Trémorin, Jacques Arnould & Denis Fernandez Quintanilla, La Capsule, 2019
Catalogue de l’exposition éponyme ayant eu lieu au Centre André Malraux (Le Bourget), du 18 avril au 6 juin 2019