
Du rouge sur le sable d’une arène, sur le manteau d’une belle de passage, sur les pages liminaires d’un livre de grand format.
Des cheveux dans les yeux, du feu, et des herbes ployant sous le vent comme chez Kenji Mizoguchi ou les primitifs de la reproduction mécano-chimique des images.
Le soleil est intense, la nuit aussi, ainsi que les couleurs.

Une enfant court dans un musée sous un Christ en croix.
La foule est un seul corps en chaussures à talons.
Des œillets, une chaise isolée sur une place, des plantes carnivores.

Sensualité des poignets et des cous, des chevelures et des mollets.
Une main ridée se lève, éclairée par un projecteur, la danse peut commencer.

Un spectacle ? Non, la vie même dans ce qu’elle a de plus brutal, de plus raffiné, de plus absolu, de plus démentiel.
Le corps de l’artiste se cogne aux badauds, aux bannières, aux lunettes noires de la Semaine Sainte.

Pas de texte, mais des bouches et des yeux très ouverts.
Des apparitions, des fantômes, le dialogue ininterrompu entre les vivants et les morts, ce qui peut s’appeler un summum de civilisation.

Ici, les petites filles sont des infantes en liberté, des gitanes irrésistibles se transformant en volutes de fumée.
A l’orée de la cinquantaine, elles sont un feu de mélancolie, brisées par les amours déçues, et très belles encore dans l’attente de qui viendra les sauver d’elles-mêmes.

C’est la fête, c’est le Nouvel An, c’est la main d’un homme mûr sur les fesses de sa jeune partenaire de danse.
C’est une flânerie baudelairienne au pays des sens à vif, et du basculement permanent de la mort en puissance de vie, et de la vie en puissance de mort.

Voici le flamenco des générations.
Voici l’Andalousie rouge.
Voici Séville.

Voici un livre du photographe Manuel Ibáñez.
Voici un hymne, un chant, un cri.
Voici le duende de la terre natale, en des images conçues comme des coplas.
Manuel Ibáñez, Reverso, design Underbau, Ediciones Anomalas / Centro de Iniciativas Culturales (CICUS) de la Universidad de Sevilla, 2019, 100 pages
