Gold, les damnés de la terre, par Sebastião Salgado, photographe

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© 2019 Sebastião Salgado / Taschen

En 2000, à l’occasion de l’exposition Exodes à la Maison Européenne de la Photographie, le critique, professeur, curateur et historien de l’art Jean-François Chevrier publiait dans les colonnes du Monde un article extrêmement critique intitulé « Salgado ou l’exploitation de la compassion », y dénonçant le « kitsch », « le spectaculaire », l’« esthétisation commerciale de la souffrance et de la misère » et le « voyeurisme sentimental » exploités « jusqu’à la nausée » par le photographe franco-brésilien de l’agence Magnum (1979-1994).

La critique porte, qui fut celle aussi de Susan Sontag s’insurgeant contre «l’inauthenticité du beau ».

Elle est celle de toujours contre la photographie dite humaniste, reprenant celle de Gide, puis de Deleuze, contre la littérature du roman familial nombriliste et bienpensante : peut-on faire de bonnes photographies avec de bons sentiments ?

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© 2019 Sebastião Salgado / Taschen

J’entends tous ces reproches, mais je suis bien moins énervé.

En revoyant Gold chez Taschen, son reportage sur la mine d’or de Serra Pelada au Brésil, force est de constater la puissance de ses images à l’argentique noir & blanc, de ses compositions donnant une juste idée de l’Enfer, à la façon d’un Hieronymus Bosch moderne.

Chacun a vu ces images de damnés de la terre cherchant frénétiquement dans le cratère d’une fourmilière humaine pouvant les engloutir à chaque instant l’or qui les délivrera de leur condition.

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© 2019 Sebastião Salgado / Taschen

Gold éblouit, aveugle, trompe. C’est Saturne dévorant ses enfants, c’est un Moloch amazonien se repaissant de chair humain, c’est le malheur des exploités de toujours.

Gold est le nom du capitalisme.

Peuple de squelettes marchant dans l’hébétude, Gold est une affaire d’hommes.

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© 2019 Sebastião Salgado / Taschen

Serra Pelada, plus grande mine d’or à ciel ouvert du monde, fut d’abord un espoir fou pour les plus de 50 000 ouvriers y ayant perdu leurs rêves et leur santé.

Il s’agit maintenant, loin des souffrances et des rages fratricides, dans le confort de nos salons, d’une série d’images iconiques toujours aussi stupéfiantes.

Elles datent des années 1980, se situent dans l’héritage esthétique de Cartier-Bresson et ont le souffle des grandes odyssées négatives.

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© 2019 Sebastião Salgado / Taschen

C’est aussi une grande leçon de noir & blanc.

« Alors que les photographies en couleurs des mineurs sont dominées par la poussière ocre qui les couvre de la tête aux pieds, écrit Alan Riding, le noir et blanc fait ressortir chaque détail : leurs visages épuisés, leurs membres musculeux, leurs vêtements sales et mouillés. De la même façon, dans les photos panoramiques du gouffre, le noir et blanc offre des repères de lumière qui révèlent chacun des ouvriers grimpant aux échelles, chargés de sacs bourrés de terre. »

Les photographies de Salgado ont la fièvre, ont mal au dos, ont le visage épuisé.

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© 2019 Sebastião Salgado / Taschen

On a beaucoup glosé sur cet ouvrage devenu populaire, mais c’est d’abord un grand livre marxiste, une sorte de supplément visuel au Capital, un cauchemar zolien dégoulinant de sueur et de pluie, de boue et de larmes, sous le regard implacable des spéculateurs de toujours.

Gold est un terrier où se mène une guerre à mort.

« La découverte de l’or m’a ruiné. »

La phrase est de Cendrars, elle pourrait être aussi celle de milliers d’autres aventuriers et de désespérés ayant risqué leur vie à coups de pioches.

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Sebastião Salgado, Gold, textes (en allemand, anglais, français) de Sebastião Salgado et Alan Riding, conception et réalisation Lélia Wanick Salgado, Taschen, 2019, 208 pages

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