
FLORE est une photographe de l’inactuel, du contretemps, inscrivant son art dans le léger décalage entre ce qui nous aveugle du présent, et les lumières cherchant à nous atteindre depuis un fond d’intelligence très ancienne.
A travers l’épaisseur du noir se confondant avec le faux-jour de nos vies, se lèvent des images de grande délicatesse, comme des points de persistance mémorielle rappelant le bonheur de vivre et de se tenir tout simplement là, parmi les êtres et les choses.
Son esthétique n’est pas de nostalgie, mais de puissance existentielle, quand tout part, quand tout fuit, quand tout est recouvert de vulgarité et de logique spectaculaire.

Voilà pourquoi chez FLORE, il n’y a en quelque sorte que des natures mortes, qui sont des acmés de vie.
Après l’Indochine où vécurent ses grands-parents (livre Lointains souvenirs chez Contrejour / Postcard Edizioni, 2016), Maroc, un temps suspendu est un ouvrage se souvenant d’un pays aimé, pour sa nature, pour sa douceur, pour ses secrets, pour sa pudeur.
Le Maroc de FLORE est une image mentale composée de pigments révélant merveilleusement la structure même du temps, entre présence et absence, entre effacement et saveur proustienne d’un petit pan de fruit jaune séchant sur un tissu blanc.

Tout peut s’évanouir, tout s’évanouit, mais il y a l’art qui est une résilience, un tamis, l’avenir désirable d’une illusion bien plus civilisée que tous les malaises dans la culture.
Dans la déroute générale de nos vies, dans l’enlaidissement globalisé des sociétés et des rites, quelques végétaux, des enfants sur un âne, des babouches posées dans la poussière, tiennent lieu de monde hautement désirable.
Les photographies de FLORE sont des oasis montrant le simple et le miracle de ce qui est, de ce qui va, sans heurt, dégagé de l’attirance pour la mort comme désordre et corruption fascinant tant d’artistes à succès.
Il y a du courage à ne pas craindre la modestie, ni la concorde.

Loin des agitations et des frénésies des apeurés du vide, des polaroids imposent, sous format carré ou à la façon des oculi de l’architecture sacrée, des visions calmes et souveraines d’un temps qui ne passe pas, insoumis, profondément ancré dans le sable d’une mémoire encore vive.
Maroc, un temps suspendu n’est pas un livre religieux, encore moins de religiosité, mais c’est un espace spirituel où il fait bon respirer, entrer en résonance, abandonner ses résistances.
Pas assez contemporain ? Mais au contraire, il n’est que cela, éloge de la présence en tant que présence, et des couleurs comme dons de la nature et gratuité.
Le carrelage est frais, les souliers ôtés et les yeux très ouverts sur le pleinement vivant.
Des enfants se baignent, des hommes jouent aux dames, les clémentines sont mûres.
Passe une femme voilée belle comme une princesse.
Une paysanne, un homme de dos, un enfant écartant les bras devant la mer.
Précédé d’un avant-propos très sensible rédigé par Frédéric Mitterrand, Maroc, un temps suspendu est aussi un livre à lire, lentement, paisiblement, dans la saveur de ses citations -. de Colette, Anaïs Nin, Nicole de Pontcharra et Nedjma.

« La lumière, écrit la romancière américaine Edith Warthon, avait cette surnaturelle pureté qui donne comme un avant-goût de mirage : c’était une lumière sous laquelle la magie devient réalité et qui aide à comprendre comment, pour un peuple qui vit sous un tel climat, la frontière entre les faits et le rêve est très fluctuante. »
La lumière chez FLORE est aussi un acte politique, dans l’effondrement des sens et l’amnésie organisée.
FLORE, Maroc, un temps suspendu, préface de Frédéric Mitterrand, avec des écrits de Colette, Anaïs Nin, Edith Wharton, Nicole de Pontcharra, Nedjma, éditions Contrejour, 2019 – 1300 exemplaires
Présentation à Paris Photo par la Galerie 127 (Marrakech), du 7 au 10 novembre 2019
Lancement & signature à la Librairie Artazart (Paris) samedi 19 novembre 2019