Un mur vert comme une pyramide , par Thomas Klotz, photographe

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© Thomas Klotz

S’intéressant aux paysages urbains des environs d’Arras (Hauts-de-France), NORTHSCAPE est le premier livre de Thomas Klotz.

NORTHSCAPE, ce sont des murs, des jardins, des fenêtres, des friches, des bouts d’usine d’un territoire où le photographe recherche des cohérences de couleurs et de matières.

S’inscrivant dans la grande tradition photographique américaine, Thomas Klotz trouve de la lumière dans la banalité, et de la force métaphysique dans l’infraordinaire, observant les morsures du temps avec empathie, dans une noble distance.

Le vide est peut-être ici moins une absence qu’un contenant, et qu’une façon de célébrer, sans jamais les montrer, les vivants qui passent.

Thomas Klotz travaille avec la solitude, son œuvre est d’ores et déjà passionnante.

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© Thomas Klotz

NORTHSCAPE, publié aux éditions EYD dans la collection LOCI, est votre premier livre. Est-il tel que vous le rêviez ?

On rêve forcément de faire un livre quand on est photographe ! Mais pour être honnête, je ne sais pas si j’ai rêvé cet ouvrage. Je fais de la photo depuis longtemps et ce livre ne représente qu’un travail sur un lieu, les environs d’Arras dans les Hauts-de-France, et sur une période déterminée, entre 2017 et 2019. J’ai terminé les prises de vues, je suis allé voir Caroline de Greef quelques semaines plus tard et ensuite la fabrication a été très rapide. Je suis très content du résultat effectivement. J’avais des idées fixes, des points précis sur la fabrication du livre. Oui, c’est le livre que je voulais ! Bien sûr, je changerais deux ou trois choses aujourd’hui… mais bon.

Comment avez-vous travaillé avec votre éditrice Caroline de Greef ?

J’ai rencontré Caroline à son bureau, je lui ai montré les tirages en 50X60. Elle m’a dit oui tout de suite et a décidé que nous serions prêts pour la rentrée 2019, nous étions en juin. Le livre s’est fait dans une certaine urgence, ce qui m’a plu. Nous sommes partis de trois-cents images. Je l’ai laissée choisir, orienter, agencer mon travail avec la directrice artistique Ilanit Illouz. L’effort a été de resserrer, de concentrer les intentions de prise de vue. L’entente a été parfaite, Caroline avait des ambitions fortes pour ce livre. C’est un honneur de travailler dans ces conditions et un plaisir d’avoir une telle proximité avec son éditrice.

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© Thomas Klotz

Quelles difficultés avez-vous affrontées lors de la conception de votre ouvrage ? Qu’avez-vous appris sur votre propre travail en le recomposant pour un livre ?

J’ai principalement appris à me méfier de moi, de mes certitudes. Je pensais que le choix des photos et l’agencement du livre allaient être une formalité, tant je savais où je voulais aller. Finalement, ce livre a été une œuvre à partager et aujourd’hui il me satisfait, notamment parce qu’il m’a échappé. C’est terriblement difficile de faire un livre en fait, de se dire que certaines images auxquelles ont tient doivent disparaître, de retourner dans les planches contact pour chercher des choses à côté desquelles on est complétement passé. Et puis il y a l’idée de tendre le récit, de ne pas lasser, de rythmer la lecture. C’est passionnant mais ce travail est abyssal, épuisant.

En regardant longuement votre livre, on comprend que le Nord de la France est un ensemble de couleurs et de matières, notamment de briques. Comment avez-vous rythmé, composé, pensé vos images ?

Ces couleurs et ces matières sont mon Nord et non le Nord. C’est un travail d’appropriation autant que de retranscription. Il y a de l’engagement, des partis pris forts quant à la saturation des couleurs, la composition. Mon travail a un aspect outrancier, notamment sur la chromie. Dans cette série, je travaille avec le territoire mais non par sur le territoire. J’essaie d’être précis dans les lumières, les cadrages. Je ne vagabonde pas non plus, les endroits que je photographie sont connus, repérés, à tout le moins recherchés. Travailler avec des matériaux aussi diffus et anonymes que des murs, des fenêtres, des jardins impose une grande rigueur et beaucoup de précision.

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© Thomas Klotz

En observant votre livre, je pense au travail sur les murs d’Eric Pillot et Adrien Boyer, ainsi qu’au livre North End de Géraldine Lay. Les œuvres de ces auteurs ont-ils pu constituer des sources d’inspiration ? On peut penser aussi à des influences nord-américaines, à William Eggleston, Lewis Baltz, Stephen Shore, ou même à l’Italien Luigi Ghirri.

J’ai connu Adrien Boyer et Eric Pillot il y a peu de temps, ce n’est donc pas d’inspiration qu’il s’agit. Je suis particulièrement réceptif au travail d’Adrien Boyer qui est assez différent du mien je trouve, qui s’apparente à de l’émotion pure et des chocs graphiques, c’est du moins ce que je ressens. Quant à Géraldine Lay, c’est drôle que vous me parliez d’elle, je lui ai offert mon livre il y a quelques heures. Son travail est sublime. Je pense que le point commun entre tous ces photographes reste la grande tradition photographique américaine. Me concernant, dès l’âge de 16 ans, j’ai été fasciné par William Eggleston. Aujourd’hui encore, je suis au-delà de l’admiration pour cet homme et son travail que je connais par cœur. Toute personne qui se confronte à l’exercice de la photo couleur, de la banalité sait ce qu’il doit au pionnier qu’est Eggleston. Lewis Baltz m’a beaucoup marqué et influencé, mais un peu plus tard. Ces photos sont parfaites, totalement inimitables. J’ai eu vu trois à Paris Photo cet après-midi, il y a un souffle incroyable que se dégage de ses petits formats. On est dans le génie pure, celui de la simplicité, de l’évidence.

Sonia Voss évoque dans la préface de votre livre « une sorte de désespoir froid ». Etes-vous d’accord avec cette analyse ? La couleur ne rédime-t-elle pas la banalité des surfaces ? Dieu a-t-il abandonné le Nord ?

C’est une lecture possible, ou plutôt une conséquence possible de mes partis pris. Il y a l’idée du vestige, du temps qui est passé dans cette série. Je dis souvent que j’essaie de photographier un mur vert comme si je venais de découvrir une pyramide en Egypte. Alors oui, le travail sur la couleur pour accentuer, sauver peut-être, est important dans cette phase de sacralisation du sujet photographié. Mais je ne triche pas. Je ne sais pas utiliser Photoshop. Le travail se fait à la traditionnelle. Franck Bordas, le tireur de mes photos, est une pièce clé de ce processus. Il trouve l’équilibre parfait et l’harmonie chromatique que je recherche.

Qu’est-ce qu’un paysage pour vous ?

C’est une vue simple de l’œil. Juste un choix de regard à un moment donné.

Pourquoi avoir terminé votre livre par un triptyque de petite taille montrant une fabrique industrielle ?

J’ai commencé le livre par une photo prise à Lille en 1996, j’avais fait ce tryptique près d’Arras à la même période. Je ne me suis dit allez… c’est tout.

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© Thomas Klotz

Que comprendre de l’image montrant une tablette numérique affichant un portrait de Mozart posée sur un lit d’hôpital ?

Mon père est mort pendant que je travaillais sur cette série. Il m’a appris la photo, l’amour de la musique classique et mille autre choses. C’est la dernière vue d’intérieur du livre. C’est son lit, il s’est levé, nous écoutions sur l’ordinateur la symphonie Jupiter. J’ai pris la photo du lit d’hôpital avec Mozart sur l’écran. C’est une des clés de lecture du livre, l’idée de la disparition, du vide, du vestige. Chacun y voit ce qu’il peut en fait.

Vous avez produit des longs métrages. Pourquoi être allé vers l’image dite fixe ?

Je faisais de la photo bien avant de produire des long-métrages. D’ailleurs pour développer ma société de long métrage, je gagnais ma vie en travaillant sur des publicités. J’y ai appris plein de chose qui me sont encore utiles tous les jours. Mais quand je faisais des films, je prenais peu de photos, voire pas du tout. Je collectionnais un peu, j’achetais énormément de livres, je courrais les galeries. Puis après six films, quelques succès, des échecs, j’ai laissé la place à mes associés. Je préfère aujourd’hui la solitude voire l’autisme des photographes. Je ne suis pas un chef d’entreprise, la production m’a plu, mais je ne pouvais pas perdurer.

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© Thomas Klotz

Photographiez-vous quelquefois les humains ?

Bien sûr je vous les montre bientôt d’ailleurs. Mais NORTHSCAPE est au final sans humain, mais plein d’humanité. Je crois que c’est Lewis Batz qui disait qu’une maison en dit plus sur un individu qu’une carte d’identité.

Quels sont vos prochains projets photographiques ? Une exposition est-elle prévue?

Nous avons un projet avec Caroline de Greef, à quelques milliers de kilomètres de Paris. Je suis en train de poser les bases, de me documenter, de chercher les contours de mon travail. Mais par superstition je n’en dis pas plus. Entre temps, nous allons surement publier un petit portfolio de mon travail sur Paris…. Avec des humains ! Pour ce qui est des expositions, nous avons exposé NORTHSCAPE à Paris en Octobre. Quelques photos seront présentées à Genève durant ARTGENEVE, puis ensuite à Arras en Janvier. Il y a d’autres choses pour le mois de mars mais je ne sais plus où nous en sommes.

Propos recueillis par Fabien Ribery

Microsoft Word - CP_Thomas Klotz_Northscape VTK.docx

Thomas Klotz, Northscape, préface de Sonia Voss, publié sous la direction de Caroline de Greef, conception et réalisation graphique Ilanit Illouz, traduction anglaise Darrell Wilkins, EYD, collection LOCI, 2019

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