
« I am tired, I am weary / I could sleep for a thousand years / A thousand dreams that would awake me / Different colors made of tears »
Quand on les connaît, quand on les a connues, il n’est pas possible de ne plus les rechercher sans fin, chaque jour, à chaque instant.

C’est un ami que l’on prend soudain dans ses bras, une infirmière que l’on embrasse dans un couloir d’hôpital, un enfant que l’on serre contre sa poitrine, une femme avec qui l’on pleure et jouit.
Cette puissance d’étreinte est le signe de Vénus, de sa douceur et de sa rage d’exister.

Pour la photographe Linda Tuloup et l’écrivain Yannick Haenel, ce basculement des contraintes dans la chaleur d’une présence envoûtante est le signe du passage d’une nymphe, dans un bois de mystère, dans le tissu d’un texte habillé de transparences troublantes, dans une image offerte à la nuit et aux louves.
Elle est là devant vous, éblouie par les phares de votre voiture, apparaissant au moment même de sa métamorphose.

La femme biche ne se montre jamais, votre chance est inouïe, c’est la gardienne des bois, une faveur inespérée, vous pouvez la suivre, vous serez protégé.
La déité a des yeux de nuages et une bouche égyptienne.
Sa nudité n’est pas qu’un spectacle fascinant, c’est une proposition de vérité.

Les arbres frémissent, se penchent, font la révérence.
On entend des bruissements, des chuchotements de désir, des appels sans équivoque.
Elle s’éloigne mais elle est là de nouveau, très brune, très belle, très franche, un chien de fourrure blanche autour du cou, invulnérable dans son aura d’illimité.

L’appareil de vision est un ventre, un nombril, l’extension vibrante d’un cordon ombilical défunt.
Ce n’est pas lui qui nous regarde, mais une matrice de naissance, le lointain d’une origine à venir.
Vénus, Où nous mènent les étreintes n’est pas qu’un livre, c’est une initiation secrète, en talons hauts et robe argentée, en sangles de cuir et bijoux d’étincelles.

Voici une fable pour quelques-uns, les élus d’une contre-société heureuse.
Les mots crus y sont d’une douceur inconcevable.
« Au monde envoûté du calcul, observe Yannick Haenel, s’oppose ma course dans les bois: je reconnais dans membres l’ivresse de Dionysos qui enfièvre ses bacchantes. Je vais me jeter dans ces taillis où dorment de belles louves ; je vais empoigner ce pelage, mordre ces épaules, je vais manger ton cul. »

La belle est étendue sur l’humus, calme et attentive.
Pour entrer avec elle dans la danse de l’amour, il faudrait être un dieu, ou tout simplement avoir le cœur pur, et ne pas craindre de perdre ses écorces dans ses écorchures.
Linda Tuloup, Vénus, Où nous mènent les étreintes, texte de Yannick Haenel, conception Olivier Marchesi, Bergger éditions, 2019 – 500 exemplaires numérotés

Exposition à la galerie Olivier Waltman (Paris) du 10 au 28 décembre 2019 – vernissage le mardi 10 décembre à 18h