Un sabbat, par Igor Pisuk, photographe

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©Igor Pisuk

On peut ouvrir Deceitful Reverence d’Igor Pisuk à n’importe quelle page, l’impression de sidération est chaque fois présente.

Publié par Blow Up Press (Varsovie, Pologne), pensé par l’excellentissime Aneta Kowalczyk, grande professionnelle du design, cet ouvrage probablement surgi d’une mine de charbon de Silésie, est une étude sur le corps nu, masculin et féminin, spectral et jouissant.

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©Igor Pisuk

Les corps sont des oiseaux de nuit dessinés à l’encre photographique, des traits de poussières assemblées, des divinités infernales.

Ils sont deux, surgissent des ténèbres, s’aiment, se caressent, mêlent leur bouche et leur visage.

Ils sont aveugles.

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©Igor Pisuk

Ne comptent pour eux que le peau à peau et l’émotion partagée le temps d’une danse nocturne.

La torsion d’un dos, le pli d’un ventre, la rotondité d’un sein, la tension d’une culotte à enlever.

La campagne est en feu.

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©Igor Pisuk

Sur la neige fondue un corps féminin est étendu, photographié plusieurs fois dans le mouvement de son attente.

Une femme pisse debout dans une baignoire de salle de bain. Son jet vertical est une chute d’eau quelque part en Amazonie ou dans l’outremonde.

Igor Pisuk regarde ses ami-e-s, sa compagne, ses compagnons d’anarchie.

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©Igor Pisuk

A côté d’un sexe d’homme empoigné il y a une fleur d’iris, sur une page de transparence bleue, magnifique de luminescence.

Car la pluie de comètes noires formant les images de Deceitful Reverence se colore quelquefois de pages plastifiées faisant penser à des vitraux de cathédrale, mais d’une église acceptant d’être un temple pour l’amour physique et les expérimentations sensuelles.

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©Igor Pisuk

D’une puissance graphique et existentielle considérable, ce livre génial est un cri, une extase, les instants d’illumination d’une contre-société peuplée de sorcières et de sorciers.

C’est un sabbat, une messe noire, une cérémonie sacrificielle.

Disparaissant régulièrement des cartes de l’Histoire, la Pologne est un pays ayant probablement bien des démons à exorciser.

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©Igor Pisuk

Lorsque l’on a vingt ou trente ans dans les forêts noires de l’amnésie, il faut peut-être, pour se sentir pleinement vivant et quitter les rives du mal endémique – appelons-le antisémitisme, extermination des juifs d’Europe, couteau sous la gorge du cochon quand le train traverse les bois de bouleaux -, tout reprendre à zéro.

Il faut repartir du cri, de la toison pubienne dense comme un firmament, du baiser absolu.

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©Igor Pisuk

Au commencement était un halo de lumière isolant des amants sur un tapis de fougères.

Au commencement étaient des arbres effondrés.

Au commencement étaient la cigarette, la drogue, le sperme.

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©Igor Pisuk

La nuit est d’épouvante et de volupté.

Dans l’égarement général et l’effacement des visages, on distingue le ballet des nudités se cherchant à tâtons.

Les chemins ne vont nulle part, ou dans la boue, le sexe et la mélancolie.

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©Igor Pisuk

Sur fin papier transparent, il y a la danse miraculeuse d’un homme nu saisi en pleine séance de pose. La main caresse la page, trouve un pied, un mollet, une cuisse, des fesses.

La main trouve la main pour ne plus la lâcher avant que de choisir un autre corps, une autre consolation impossible.

Il fait un temps à se pendre, il fait un temps à s’aimer, il fait un temps de chien et de désir.

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©Igor Pisuk

Regarde-moi, regardez-nous, nous sommes des survivants, l’humanité nouvelle, les derniers des étrangers.

Voici Igor Pisuk, frère de Stig Dagerman, le Suédois, auteur en 1952 d’un texte bref et déchirant, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier.

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Igor Pisuk, Deceitful Reverence, design Aneta Kowalczyk, texte Agata Pyzik, Blow Up Press (Varsovie, Pologne), 2018 – 500 exemplaires

Igor Pisuk – site

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Blow Up Press

 

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