
Voici l’un des plus beaux livres du monde, une plongée en apnée dans le ventre d’une femme, une traversée archéopoétique du Royaume des Ombres d’une impressionnante sensibilité.
Il s’agit de Mayflies de la photographe grecque vivant à Londres Dimitra Dede, soit de ces insectes éphémères associés au plancton aérien.
Dans le monde flottant des images apparaissent des formes, des visages, des peaux nues, des fantômes, des voies lactées.

Nous sommes dans les limbes, du côté des enfants morts sans être baptisés, ou peut-être dans ces espaces du Purgatoire où chacun attend d’être désigné, jugé, séparé.
Tout commence par un sexe féminin, l’origine du monde, ce qu’est au fond toute image rompant avec la logique de l’ordre publicitaire.
Voici le porche des lèvres, voici notre aveuglement, voici le passage de toute naissance.

Dans son laboratoire, dans son antre de création, Dimitra Dede manipule les substances chimiques, cherche la formule de transmutation de la matière en chemin spirituel.
Nous avons perdu la mémoire, nous ne savons plus qui nous sommes, nous tâtonnons dans le noir, nous volons.
Nous disparaissons dans le Temps lui-même, libérés, délivrés de nous-mêmes.

Mayflies offre la chance d’une expérience considérable de dilution et de retrouvailles, d’effacement et de réincarnation, de néantisation et de résurrection.
Il pleut de l’être, il vente de l’être, il tempête de l’être.
Le corps d’Aphrodite est une neige douce.
Elle est là, bienveillante, près de nous dans l’invisible qui ne la méritons pas.

Les glaciers fondent, oui, mais bien moins vite que nos pauvres illusions de prospérité, de gloire et de sécurité.
Ici, tout est nu, essentiel, radical dans le vide et le plein.
Des océans de corps nous précèdent, tombés dans les firmaments de l’oubli, et pourtant, là, une femme nous enchante, nous appelle, nous attire, définitive, absolue.
La Terre prend feu, les images prennent feu, rappelant que tout visible est de l’ordre du miracle, et qu’il se pourrait bien que nous mourrions de nos prétentions de maîtrise.

A Lascaux, à Chauvet, dans les grottes sous-marines préhistoriques, regardez-bien, il y a des petites filles frottant leur corps nu sur des parois de rêve.
Tout s’enchevêtre, se mêle.
La mer et la montagne font l’amour, la glace et la roche, les algues et les eaux, les femmes entre elles, et les sexes d’hommes acceptant l’abandon de leur superbe dans la jouissance et le cri.

Mayflies ne se raconte pas, mais s’écrit dans le souffle suspendu, parce que, mâle, femelle ou hermaphrodite, une femme nous donna la vie, et connut pour nous le torrent de la dépression, suivi par la plus belle des rencontres du troisième type.
Dimitra Dede, Mayflies, texte Dimitra Dede, design Joao Linneu, edit Myrto Steirou, Void, 2019 – 500 exemplaires numérotés
