
Castellane, cité marseillaise, est une île urbaine, un monde clos, avec ses codes, son identité, ses frontières.
Consacré à ce vaisseau de béton et à son peuple, Castellane est le troisième volet du cycle Insulae auquel travaille Teddy Seguin.
Publié conjointement par Filigranes Editions et Zoème éditions, accompagné du texte de Youssouf Djibaba, qui a grandi dans le quartier, cet ouvrage est un reportage très sensible sur cet ensemble HLM situé au nord de Marseille.

« Avec ses cinq points d’entrée et de sortie, écrit Teddy Seguin, la cité de Castellane est un village dans lequel tout le monde se connaît. L’attachement des habitants à leur cité peut être considéré comme une des réussites principales du projet urbain des années 1970. L’ostracisme dont souffrent ces derniers, la solidarité, la méfiance face à l’étranger de Castellane, le refus de l’autorité et des lois régaliennes sont autant de paradoxes qui participent à un sentiment fort d’appartenance à la cité. »
Teddy Seguin a rejoint l’île Castellane, a rencontré des habitants, des portes se sont ouvertes.
Ses images sont en noir et blanc, très calmes, attentives.

Aucun surplomb, aucune volonté de faire la leçon, aucune idéologie, mais le souhait d’un partage, et de montrer un quartier populaire parfois turbulent dans sa simplicité, sa quotidienneté, son ordre familier.
Bien sûr, les lieux sont singuliers, qui ouvrent les yeux sur l’éblouissement méditerranéen, mais ils révèlent aussi l’ordinaire des vies impécunieuses, menées dans le destin commun d’une arche grise où les rêves ne sont pas moins beaux qu’ailleurs.
« Mon père, écrit Youssouf Djibaba, me racontait souvent qu’il avait traversé l’océan pour rejoindre la pays des droits de l’homme. Il venait de Salimani, un village de l’île de la Grande Comores. Il s’était toujours projeté dans une vie en France. Il s’imaginait dans une grande maison comme dans son village, où il était respecté grâce à son père, Imam très apprécié, qui avait la bonne parole et exerçait comme médiateur lorsqu’un conflit éclatait au sein de la communauté. »

Des familles de toutes les générations, des mains ridées, des postures d’enfants, des ennuis d’adolescents.
Castellane est aimée, détestée, qui colle à la peau et au cerveau, qui excite et désespère, qui pèse et ne s’oublie pas.
La place d’un village où l’on joue au foot et où l’on discute sous les arbres ? Oui.
Un lieu de tensions où la police n’est pas la bienvenue ? Oui.
Un buffet sur lequel sont posées dans des petits cadres des photos de famille.

Un coiffeur communautaire.
Des objets dont la valeur est essentiellement sentimentale.
Des fenêtres ouvertes pour ne pas étouffer.
De la mélancolie.
Des gants de boxe.
Des guetteurs, des naufrageurs, des naufragés.
Des issues murées, des couloirs angoissants, la dialectique des lumières et des ombres.
Sagesse de Karim, l’omnicommerçant : « Il faut s’intégrer avant d’être désintégré. »
Castellane a des insomnies, Castellane survit, Castellane rêve d’autres îles.
Teddy Seguin, Castellane, texte Youssouf Djibaba, Filigranes Editions / Zoème éditions, 2019