Françoise Huguier, photographe, et glaneuse d’objets

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©  Françoise Huguier 2020

Ce pourrait être un hors-série de l’excellente revue Profane, dédiée à l’art amateur, dont le dernier volume (n°10) construit autour du désir de collection (de pots à biscuits ou pots à lait, d’accessoires pour tenir la chevelure des femmes trouvés sur les trottoirs, d’enveloppes sécurisées aux signes géométriques envoûtants, de pagnes africains aux motifs présidentiels, de mouches pour la pêche) vient de paraître.

Ce pourrait être, mais ce n’est pas, puisque c’est un livre de Françoise Huguier – quarante ans de photographie au plus haut niveau – consacré aux objets rapportés de ses voyages et à l’occasion de ses reportages, en Chine, à Singapour, en Colombie, au Japon, en Russie, en Bretagne, au Mexique, au Mozambique…

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© Françoise Huguier 2020

« Je ne suis pas une collectionneuse, plutôt une ramasseuse, au gré de mes inspirations. »

Publié à l’occasion d’une exposition au Musée du quai Branly – Jacques Chirac, La Curieuse est un cabinet de curiosité aux dimensions de la planète, dont les objets de valeur ethnologique, relevant généralement de l’art modeste ou simplement du décorum du quotidien, témoignent chaque fois d’une identité propre à un peuple, à un groupe social, et d’une époque particulière.

Ce sont des histoires muettes à déplier, des paroles gelées que l’exposition et la mise en série peuvent libérer.

« J’ai commencé, écrit Françoise Huguier, à Jakarta en 1975, photographiant les panneaux en bois des cyclo-pousses indonésiens. »

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© Françoise Huguier 2020
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© Françoise Huguier 2020

On trouve de tout dans La Curieuse, une poupée vaudou haïtienne, un décapsuleur de Cape Town, une carafe en plastique de Bamako, un chandelier de pagode cambodgien, une gourde japonaise pour saké, une croix coptique orthodoxe éthiopienne, et des dizaines d’autres objets (total de 208 pièces).

On peut lire soigneusement les légendes, riches d’informations essentielles, ou simplement se laisser dériver dans le vaste reliquaire baroque créé par Françoise Huguier.

On imagine sa maison tel un conservatoire aléatoire peuplé de merveilles et de territoires à l’idiosyncrasie forte.

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© Françoise Huguier 2020

On peut penser au contemporain Hervé di Rosa, et à tous ces beaux cinglés que sont les chineurs compulsifs.

Regardés fixement quelques instants, ces objets se mettent à vivre, à nous entraîner dans leur univers, à nous happer.

Extraits de leur monde familier, les voici qui apparaissent dans toute leur puissance de vie et leur irréductibilité.

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© Françoise Huguier 2020

Des chaussures, une sandale, un peigne, une poupée, une carte postale, un masque, une soucoupe volante, un vase en porcelaine, une étoile rouge (trouvée dans un ancien goulag en Sibérie), des statuettes, des timbres, des paquets de cigarettes, un cendrier, une horloge, un corail, un robot, un sextant.

Beauté animale d’un foëne, ce harpon utilisé dans le sud de la France pour pêcher les anguilles.

Sensualité d’un siphon à eau de Seltz soviétique.

Drôlerie d’un arrosoir à l’effigie de la princesse grenouille.

Car les émotions levées sont multiples : enthousiasme enfantin, admiration, peur, écœurement, stupeur, joie bouffonne, tendresse, effroi.

Il y a ici, analyse finement Gérard Lefort dans sa préface évoquant la lecture d’Aby Warburg par l’historien de l’art Georges Didi-Huberman, des images survivantes, des fantômes et formes traversant le temps, une mémoire disponible à réveiller, une vie propre des objets hantant d’autres objets, jusqu’à toucher leur spectateur ou usager par la force de ce qui les habite, forme, informe.

« A la croisée, écrit l’auteur de Les Amygdales (éditions de L’Olivier, 2015), ancien journaliste à Libération, des objets et de leurs images, au point de rencontre et de friction entre une photographie d’objet et une photographie qui peut elle-même devenir objet, agrandi ou réduit, publié ou vendu, conservé ou rendu public, encadré ou « brut », le rapport n’est plus dialectique dans l’habituel bagarre primaire et censément primitive entre la poule et l’œuf, mais fantomatique. Sans source ni récepteur, sans maître ni esclave, à l’interrègne, un pur écho, un écho-système. »

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© Françoise Huguier 2020

Vous reprendrez bien un peu d’empire soviétique ?

Vous dialoguerez bien avec les morts ?

Vous partirez bien dans l’espace ?

Vous vous laisserez bien emporter par les couleurs, les formes et les matières des objets du monde, les plus drôles comme les plus saugrenus, les plus utiles comme les plus futiles, les plus beaux comme les plus kitsch, les plus civilisés comme les plus sauvages ?

Pas de hiérarchie, pas de taxinomie barbante, mais la folie douce du génie humain et des arts populaires.

La Curieuse, c’est la rencontre d’une poupée birmane en papier mâché et d’une bouilloire malienne tenant en équilibre instable sur une défense de morse gravée.

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Françoise Huguier, La Curieuse, texte Gérard Lefort, Filigranes Editions / Musée du quai Branly – Jacques Chirac, 2020

Filigranes Editions

Site de Françoise Huguier

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© Françoise Huguier 2020

Ouvrage publié dans le cadre de l’exposition Les curiosités du monde de Françoise Huguier au Musée du quai Branly – Jacques Chirac, du 31 mars au 14 juin 2020 (dates à vérifier)

Musée du quai Branly – Jacques Chirac

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Revue Profane, « art amateur, amateur d’art », numéro 10, 2020

Site de la revue Profane

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Se procurer La Curieuse

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