Canal Seine-Nord, une ligne d’eau, par Frédéric Cornu, photographe

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© Frédéric Cornu

Dans la région des Hauts-de-France, la construction du Canal Seine-Nord est appelée à modifier durablement le paysage.

Photographiant depuis 2017 des zones rurales bientôt bouleversées, Frédéric Cornu s’est questionné sur cette nouvelle ligne d’eau, se situant sur un axe Nord-Seine ayant été durant la Première Guerre mondiale une ligne de front – un projet d’envergure nationale visant, précise Anne Lacoste, directrice de L’Institut pour la photographie (Lille), « à relier sur 106 kilomètres le canal Dunkerque-Escaut à l’Oise », afin de « permettre le transport fluvial en grand gabarit de marchandises. »

A la façon des travaux commandités par l’Observatoire Photographique du Paysage et la mission de la DATAR, l’œuvre documentaire qu’il produit, pour une exposition et un livre éponyme (La ligne d’eau, éditions Light Motiv), fait, au moyen format, un état des lieux qui permettra par la suite de témoigner de l’empreinte des activités humaines dans le paysage : pas de grandiloquence ou d’effets esthétisants, nous sommes « à hauteur d’homme ».

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© Frédéric Cornu

Pour le moment, tout est paisible, les champs sont labourés, l’ordre naturel règne, qui est aussi fruit de métier d’homme envisageant la terre dans sa capacité nourricière.

Les photographies de Frédéric Cornu ne craignent pas le vide, cherchant l’humain et ses traces, là où des regards pressés verraient des non-lieux, facilité intellectuelle cachant la richesse des interactions, des strates culturelles et temporelles déposées dans un territoire donné.

Il y a quelquefois du saugrenu dans son regard, une salle des fêtes photographiée plein cadre, comme un cyclope de briques assoupi sur la verte pelouse qui l’accueille, une ferme reposant dans le lointain.

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© Frédéric Cornu

Les constructions humaines ne sont pas toujours très belles, les bois sont remplis d’arbres prolétaires.

Le ciel est gris, il a plu, les rues sont désertées, et pourtant il fait bon aussi vivre là, dans les cours des fermes, derrière les rideaux de gaze, près des ronds-points où le Christ en croix rappelle que nous sommes sauvés.

Par-là, c’est Ham et Matigny ; par ici, à quatre kilomètres, c’est Moyencourt.

Des entrepôts, un charcutier fermé, une usine désaffectée, un bar à vendre.

La vie s’enfuit, qui reviendra peut-être par la bande, de façon inattendue, à la faveur de tel ou tel effondrement, repeupler des lieux marqués par l’Histoire.

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© Frédéric Cornu

A Epénancourt, près de Péronne, non loin des autoroutes A1 et A29, passe la Somme, et rien n’est soudain plus beau que la courbe du fleuve près de la terre féconde.

Il y a des bâtisses abandonnées, un sentiment de déréliction, une population évanouie, une forme de désespérance, et pourtant, tout est là, tout peut encore faire rêver.

Une cabine téléphonique remplie de livres ; certains ne sont peut-être pas mauvais.

A Moislains, Domi a baissé pour toujours le rideau de fer de son magasin.

Il reste des aînés, des portails fermés, des rues de solitude.

Pourtant, la douceur du regard de Frédéric Cornu sur ce qu’il contemple est un espoir : ses photographies à la chambre d’un pays à bien des égards oublié permettent d’imaginer une transformation possible, favorisée par les dieux d’eau.

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Frédéric Cornu, La ligne d’eau, préface Anne Lacoste, design graphique Valérie Dussart, éditions Light Motiv, 2020, 96 pages – 56 photographies

Editions Light Motiv

Frédéric Cornu – site

Exposition éponyme prévue du 10 septembre au 15 novembre 2020 à l’Institut Pour la Photographie (Lille)

Institut pour la Photographie

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Se procurer La ligne d’eau

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