De la Vierge à Vénus, par Patrick Chambon, peintre

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© Patrick Chambon

Auteur de trois livres aux titres intrigants – Lacan la Scène chez Epel (2013), Oscar Wilde fabulLeux chez Hazan (2017), Lacan ô Banquet de Platon chez Erès (2017) -, le peintre et dessinateur Patrick Chambon s’est intéressé pour son dernier ouvrage à l’évolution de la représentation du corps de la femme dans la peinture, toute révolution picturale prenant d’abord appui, selon la thèse de Philippe Sollers (revoir l’admirable Le trou de la Vierge, entretien avec Jacques Henric filmé par Jean-Paul Fargier en 1982), sur la façon dont les femmes sont peintes.

« Il est inutile, à mon avis, écrit l’auteur de Femmes (1983), de se préoccuper de peinture si l’on ne voit pas que les mutations, les fractures, se passent automatiquement, plastiquement sur cette question de la représentation de l’origine des corps. Origine est d’ailleurs un mot qui ne convient pas, sauf à l’écrire avec un y, puisque toute la question est de savoir si le corps grandi que vous êtes, que je suis, est le même que celui qui est passé par ce défilé, cette fente, après avoir été concocté à l’intérieur. Je disais qu’il n’y a pas de rapport entre une Vénus du Titien, l’Olympia de Manet, L’Origine du monde de Courbet, et un Picasso, et chaque fois vous enregistrez comme une nouveauté de cadrage dans l’évaluation du corps humain. Eh bien, je dirais que, de la même façon, la mythologie de la non-Vénus — essentielle pour la culture occidentale —, c’est-à-dire celle qui est à l’autre pôle de cette affaire de femme nue, celle qui n’est jamais nue mais qui est appelée à s’élever dans les nues et qui est la Vierge Marie, est très précisément l’envers de la même question. C’est pour cela que toucher à Vénus, c’est toucher à son envers, et qu’il n’est pas question de produire un événement sur Vénus qui n’ait sa correspondance, son antithèse dans l’idée qui est sortie logiquement de la théologie, à savoir qu’il en fallait une qui ne représente pas une fois de plus une cause de reproduction indéfinie. »

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© Patrick Chambon

Traversant en dessins noir & blanc (fusain) cinq siècles de peinture, Patrick Chambon revisite à la façon d’un enquêteur, dans l’album cartonné De la Vierge à Vénus (deux images par page), des œuvres peintes ayant marqué l’histoire de l’art, de la Renaissance à l’Art moderne.

Accompagné de textes de Jean-Marie Pontévia extraits de « Vénus et Diane, les filiations profanes de la figure de la Vierge à l’époque de la Renaissance » (in La Peinture, masque et miroir (écrits sur l’art et pensées détachées), éditions William Blake & Co, 1984), ce bel ouvrage cultivé fait l’hypothèse que le désir de peindre des femmes nues mène au désir de la nudité de la peinture comme telle.

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© Patrick Chambon

Marie se dévoile en Vénus, les plis de sa coiffe devenant les plis de son sexe, une femme se donnant du plaisir devant tous sans que nul ne la voie (lettre volée de la jouissance).

Assomption, audace, rire, effroi, saintetés du libertinage en six chapitres de haute séduction : La Vierge Mère / La Vénus / Le Signe de Diane / L’extase / La prostituée / La peinture.

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© Patrick Chambon

« La peinture, écrit Patrick Chambon, aura tout montré de la femme, couchée sur la toile ou la feuille, jusqu’à voir sa partie la plus intime, la plus cachée, l’origine du monde. Sortie des nocturnes du fusain et des encres, son corps blanc délicatement éloigné par les gommes, « Elle » arrive dans sa dernière séquence sous son nom dévoilé : la « Peinture ». Le témoin n’est plus intérieur à la scène, il s’est étendu à l’espace entier qui comprend maintenant la relation de l’image à celui qui la regarde. »

Place maintenant aux héros : Botticelli, Piero della Francesca, Léonard de Vinci, Le Greco, Antonello de Messine, Rogier Van der Weyden, Georges de La Tour, Jean-Auguste Ingres, Cimabue, La Vierge de Vladimir, Sergueï Einsenstein, Jan Van Eyck, Jean Fouquet, Marcel Duchamp, Lucas Cranach, La Vénus de la Specola, Le Caravage, Raphaël, Francisco Zurbaran, Le Bernin, Giorgione, Philippe de Champaigne, Le Titien, Diego Vélasquez, Artémisia Gentileschi, Albrecht Dürer, Louis Galloche, Pierre Paul Rubens, Maurizio Nobile, Rembrandt, Pietro de Pietri, Massimo Stanzione, Père Borrell del Caso, Van Dyck, Pierre Klossowski, Le Tintoret, Carle Van Loo, Rutilio Manetti, Giotto, Jacques Bellange, Guido Cagnacci, Guido Reni, Mattia Preti, François Boucher, Jean-Honoré Fragonard, Jean-Antoine Watteau, Edouard Manet, Ecole de Fontainebleau, Ribera, François Edouard Picot, Giacometti, Véronèse, Stephen Frears, Francisco de Goya, Toulouse-Lautrec, Salvador Dali, Jérôme Bosch, Gustave Courbet, Edgar Degas, Alexandre Cabanel, Gerhard Richter, Lorenzo Lotto, Louise Bourgeois, Pablo Picasso, Georgia O’keeffe, Lucian Freud, Vincent van Gogh, Francis Bacon, Egon Schiele, Willem de Kooning.

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© Patrick Chambon

Chers amis de la société de la mort, la vie ne vaut-elle pas la peine d’être vraiment vécue ainsi, dans la chair de la couleur et la gloire catholique ?

On reconnaîtra, ou pas, tel ou tel peintre dans tel ou tel dessin, mais Patrick Chambon ne joue pas au jeu des devinettes. Lui importe bien davantage de saisir le continuum d’une grâce féminine s’incarnant différemment en fonction des siècles et du contexte spirituel.

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© Patrick Chambon

Tiens, voici un sujet pour de futurs étudiants en école d’art : « Pourquoi la femme profane est-elle encore sacrée ? »

En se masturbant devant son spectateur, la Vénus alanguie du Titien n’ouvre-t-elle pas la voie à toutes les audaces des féministes post-porn ?

Au paradis des peintres, il paraît que Bernard Dufour attend impatiemment que quelqu’un lui apporte ce livre.

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Patrick Chambon, De la Vierge à Vénus, textes de Jean-Marie Pontévia, Les Impressions Nouvelles, 2019, 112 pages

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© Patrick Chambon

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