« Je me souviens que pendant mon voyage en France en soixante-quatorze, je draguais les filles en leur disant : « Je viens de Tchécoslovaquie et j’aimerais faire l’amour avec vous. » Je me souviens que ça marchait : tout d’abord, elles m’interrogeaient sur la situation politique du pays. »
Vingt-quatre chapitres, vingt-quatre années d’une vie formée, déformée, encadrée par la Tchécoslovaquie communiste jusqu’à la révolution de Velours et le renouvellement du régime politique.
« Je me souviens que mon ami parlait de manière hypercorrecte, et que la plupart du temps les gens considéraient ça comme une provocation d’adolescent. »
1965-1989, comme autant d’années enfouies sous un mur, que Patrik Ourednik rappelle dans Année Vingt-Quatre (1995, réédition Allia, 2018) par la formule magique du « Je me souviens » perecquien.
« Je me souviens avoir refusé de chanter l’hymne soviétique en cours de chant, et des problèmes qui s’en sont suivis. »
En postface de cette belle publication enrichie de notes et documents d’époque, Vlastimil Harl rappelle que le « jeu des souvenirs » fut adapté en France en 1978 par Georges Pérec, qui l’avait lui-même emprunté au livre de l’Américain Joe Brainard, I Remember, publié huit ans plus tôt, ouvrage contenant huit cents souvenirs non hiérarchisés.
« Je me souviens que vers mes dix-sept ans, on me surnommait Angela Davis. »
Patrik Ourednik introduit dans un cadre historique précis des souvenirs réels ou fantasmés, mais, remarque son commentateur, « on notera cependant que la vie sous un régime totalitaire rend impossible la constitution d’un vécu proprement individuel, de sorte qu’en règle générale, les souvenirs personnels présentent une valeur collective. »
« Je me souviens que des gens pleuraient dans la rue. »
Est-il en effet trop tard pour avoir une vie privée quand s’est édifié un système totalitaire ?
« Je me souviens qu’avec mes sœurs, pendant plusieurs semaines, on a répété « On passe à l’assaut dans deux minutes » à tout bout de champ, en pouffant de rire. »
Comment distinguer le vrai du faux ?
« Je me souviens d’une blague : sur le Pont Charles un type est en train de dégueuler dans l’eau, penché au-dessus de la balustrade. Un autre type s’approche, lui tapote l’épaule, et dit : ‘Monsieur, je suis entièrement de votre avis.’ »
La fiction d’une fausse autobiographie – l’auteur émigre en France en 1984, poursuivant pourtant sa liste de souvenirs tchèques jusqu’en 1989 – revêt ici la force d’un mentir vrai, rendant vertigineuse la relation qu’il est possible d’entretenir avec les objets de la réalité quand ceux-ci sont viciés par l’idéologie.
« Je me souviens d’un magazine de l’Ouest que nous avions à la maison : sur la couverture, il y avait Jane Fonda en tee-shirt mouillé et sans soutien-gorge. »
Ourednik, traducteur notamment de Jarry, Queneau, Beckett et Michaux, amateur de jeux de langage, de fausses pistes et d’absurde, restitue ainsi, par la mise en place d’une indistinction entre souvenirs personnels/historiques et faits imaginaires, l’essence d’une époque de folie et de tromperie, de duplicité, de fureur de vivre et d’ironie noire.
« Je me souviens de l’expression ‘être con comme un communiste en maillot de bain’. »
L’Histoire défile : débarquement des Ruskofs dans la nuit du 20 au 21 août 1968 pour mettre fin au Printemps de Prague (plus de 500 000 hommes mobilisés), multiplication des graffitis antirusses (L’éléphant n’avale pas le hérisson) et des insultes à Brejnev (« Ils se précipitèrent tous / pour lui lécher l’anus. »), apparition fantomatique de la Charte 77 rédigée par des dissidents, assassinat du prêtre polonais, le père Popieluszko, funérailles du philosophe Jan Patocka et immolation par le feu de l’étudiant Jan Palach.
Mais l’humour érode les lignes politiques dures, et le plaisir des sens permet de faire de la volupté une attitude joyeusement contre-révolutionnaire.
Ainsi le « Je me souviens avoir fait l’amour, vers dix-huit ans, dans une cabine de tracteur. », qui retourne le programme d’abêtissement du réalisme socialisme en secousses de sauvegarde.
Patrik Ourednik, Année Vingt-Quatre, traduit du tchèque par Patrik Ourednik et Benoît Meunier, notes et commentaires de Benoît Meunier et Patrick Collardeau, documentation réunie par Hana Letenska, postface de Vlastimil Harl, Allia, 2018, 208 pages
An outstanding share! I’ve just forwarded this onto a friend
who was conducting a little homework on this. And he in fact
bought me dinner simply because I stumbled upon it for him…
lol. So allow me to reword this…. Thank YOU for the meal!!
But yeah, thanks for spending the time to discuss this topic here
on your web site.
J’aimeJ’aime