© Galerie Christian Berst art brut
Les expositions ont fermé, il faut tenir dans le mauvais sort, mais des catalogues circulent encore, tels des spectres dans une danse macabre.
Publié à l’occasion de l’exposition Le fétichiste : anatomie d’une mythologie commencée le 22 octobre 2020 chez Christian Berst art brut (Paris), un bel ouvrage nous fait encore rêver.
Ont surgi, du secret des archives parvenues jusqu’au galeriste des centaines de tirages amateurs argentiques au format 15 x 10 cm montrant la singulière obsession d’un collectionneur anonyme.
© Galerie Christian Berst art brut
Nous sommes entre 1996 et 2006, il est encore possible de se promener dans la rue, de prendre le métro sans attestation, de photographier à la façon de Miroslav Tichy les jambes et bottines des femmes à la terrasse des cafés.
Le collectionneur est un homme se mettant parfois en scène, en collant, croisant les cuisses sur un tissu pudique – pour les décroiser dans l’imaginaire – dissimulant le sexe, éprouvant le plaisir d’être désiré comme femme, ou plus fondamentalement encore de mettre en scène un pur désir.
© Galerie Christian Berst art brut
Publicités et magazines ont fait leur travail dans l’inconscient, la jambe gainée, vue à la télévision ou dans les transports en commun, prenant la valeur de fantasme absolu.
L’anonyme aime compulsivement les bas nylon, le justaucorps moulant Thierry La Fronde, les jambes et genoux vus dans des émissions télévisées grand public.
Le fétichiste est un expert dans la capture de l’objet qui le transit, ici les jambes rendues parfaites par les collants symbolisant le féminin et le moderne en soi.
© Galerie Christian Berst art brut
Guidé par sa pulsion scopique, il est terriblement précis, c’est un expert insatiable.
Amusantes sont les premières images du catalogue, sur lesquelles le tireur n’ayant pas compris le cadrage a indiqué « non facturé », alors que, même floues, elles sont parfaites.
L’homme qui aimait les femmes est un voyeur choisissant ses modèles avec soin, mais aussi un esthète étudiant la rencontre des jambes, la forme d’une rotule, le galbe d’un mollet ou d’une cuisse.
© Galerie Christian Berst art brut
C’est un adorateur, un adulateur, une sorte de prêtre sauvage et ultrasophistiqué.
Les jupes sont courtes, les couleurs sont chaudes, il y a du soleil, des tasses de café ou de thé, des verres de bière ou d’eau, et des sacs à main, des parapluies, des journaux, des livres, des bijoux, en somme un art de vivre.
Prises entre 1996 et 2006, ces photographies ne montrent pas de téléphones portables, la barbarie est contenue dans l’effort de civilisation.
© Galerie Christian Berst art brut
L’artiste brut est un délicat, un timide même peut-être, doublé d’un metteur en scène à la Busby Berkeley plaçant une à une ses girls dans le show qu’il construit.
Le Moulin Rouge commence dans le choix des performeuses, qu’elles s’appellent Sharon Stone dans Basic Instinct ou Madame Tout-le-monde dans un spectacle télévisé à une heure de forte audience.
Curieuse pratique que celle de photographier son téléviseur.
© Galerie Christian Berst art brut
Curieuse pratique que celle d’enfiler des bas de soie lorsqu’on est un homme et de ne pas masquer la pilosité.
On pourra juger, se scandaliser, chercher à censurer, mais ces photographies existent, et, comme l’écrit justement Marc Donnadieu, constituent pour chaque spectateur un défi.
Christian Berst présente Le fétichiste, avant-propos de Christian Berst, textes de Marc Donnadieu et Magali Nachtergael, 2020