© Bruno Dubreuil
Dessiné avec soin par Claire Jolin, le livre-objet Après on oublie est un récit de Bruno Dubreuil dont la matière est à la fois textuelle et photographique.
De famille germano-polonaise pour sa branche maternelle, Bruno Dubreuil est hanté par la Seconde Guerre mondiale, les massacres, le mal, et la dimension d’oubli recouvrant le crime.
Mais la mémoire ne répond pas exactement au volontarisme de qui souhaite se souvenir, elle est bien plus mystérieuse, trouée, inconsciente.
© Bruno Dubreuil
Il faut peut-être pour l’aviver, l’autoriser à se débonder, inventer des dispositifs.
Les récits ne cessent de s’engendrer, de se modifier, de se défaire et refaire.
Rien n’est stable, même le passé.
Proposant une lecture non linéaire, Après, on oublie est un livre ouvert : y apparaissent des visages, des écritures, des morts et des ressuscités.
© Bruno Dubreuil
L’œil du spectateur est mis en alerte, la plupart des pages étant coupées horizontalement en leur milieu.
Il ne faut pas s’attendre à tout comprendre, tout déceler, l’auteur mettant en scène sa propre énigme, ses propres déambulations, ses pas et ses impasses.
L’effroi d’une phrase, d’une pensée, d’une image impossible : « La chevelure de mon grand-père aurait blanchi en une seule nuit, celle où il reçut, dans un boîte, les cendres de ses deux fils morts à Buchenwald. »
© Bruno Dubreuil
On ne peut pas comprendre, on ne peut que chercher à donner un périmètre à ce qui n’en a pas, comme une tombe.
Les repas de famille s’enchaînent, puis un jour les derniers témoins sont morts.
Qui se souviendra d’eux, des histoires pourtant si souvent racontées ? Qui se chargera d’être un porteur de mémoire ?
© Bruno Dubreuil
En Pologne, il y a des lieux maudits. Faut-il s’approcher encore de leur foyer terrible ? Faut-il encore entrer dans les camps ?
Mais, l’adolescent ayant entendu l’histoire des cheveux blancs a douté : Qui aurait pris l’initiative dans ces lieux infernaux de renvoyer des cendres aux membres d’une famille lointaine ? Qui étaient vraiment ces deux grands-oncles ? Dans quel camp étaient-ils ? Que s’est-il vraiment passé ?
Après, on oublie est construit comme une enquête vertigineuse.
Des images pleines pages et des ellipses abyssales.
© Bruno Dubreuil
Les miradors d’Auschwitz, la neige, une gare, du silence blanc.
Puis, c’est la vision du film d’Andrzej Wajda, Katyn, et, là, c’est une sidération ouvrant sur d’autres sidérations, mais je ne veux pas ici les raconter.
Mon grand-père maternel, arrêté en 1941 par la Gestapo à Boulogne-sur-Mer pour faits de Résistance, fut interné à Buchenwald.
Il est décédé en 2018 à l’âge de 95 ans.
© Bruno Dubreuil
Je relis Après, on oublie, j’oublie tout, je n’oublie rien, et je remercie son auteur de m’avoir fait écrire cela, que je n’avais pas prévu, quelques lignes dans la grande flottaison et les limbes numériques, dans les cendres du temps partagées.
Bruno Dubreuil, Après, on oublie, un livre-objet dessiné par Claire Jolin, Les Editions Orange Claire, 2020, 450 exemplaires
© Bruno Dubreuil