
« Pour moi, le chamois, c’est l’animal roi. Je suis admiratif et respectueux de cet animal, beaucoup de personnes ont du mal à la croire dans la mesure où on les tire. », Jean-Marie Lenoir, habitant de la vallée de la Roizonne.
J’aime habiter les livres d’Emmanuel Breteau, photographe du monde rural et de ses mutations.
Après son formidable travail sur le Trièves, région du sud de l’Isère, Arnaud Bizalion Editeur le publie de nouveau avec Derrière les montagnes, ouvrage consacré cette fois à la discrète vallée iséroise de la Roizonne, « faite de rudes pentes et de torrents », « cernée par de prestigieux massifs des Alpes. »

Une faune sauvage, une nature sublime, des éleveurs, quelques bergers, et des paysans-mineurs devenus pour certains moniteurs de skis à l’Alpe du Grand Serre.
« Photographe humaniste et paysagiste » (Isabelle Lazier), Emmanuel Breteau a mené l’enquête, à sa façon très attentive aux témoignages des habitants, soucieux de les comprendre pleinement dans leur histoire personnelle, de les inscrire dans leur environnement naturel singulier, dans leur quotidien, et dans les interactions entre générations.
Les photographies sont dans un noir et blanc très noble, alternant paysages et portraits (humains/animaux).

« Le bois, ça m’a toujours plu, mais à partir de 1979-1980, il n’y avait plus de boulot en forêt. La mine embauchait et je voulais y entrer, mais Maman et mon frère Paul m’ont dit : « On ne veut pas que tu laisses ta santé là-bas ! » Il fallait bien ramener un peu d’argent à la maison, alors avec d’autres de la vallée, on est partis travailler l’été dans une entreprise de maintenance et d’installations de remontées mécaniques. Ça a duré jusqu’au 15 août 1995 – quand mon frère Bernard s’est tué sur la route du Pay. Il était prédestiné à faire la continuité de la ferme, mais lui n’étant plus là, je repris la ferme dans ces conditions. »
Dans la vallée, le loup est revenu, inquiétant les bergers.
Crainte de la disparition des derniers troupeaux, des sentiers qui se ferment, d’une montagne encore plus sauvage et impraticable, alors qu’il semble également y avoir toujours moins de chasseurs.

« Cette civilisation rurale de paysans chasseurs disparaît petit à petit et les nouveaux arrivants sont plutôt anti-chasse. Au nom de la biodiversité et de concepts de citadins qui voient une nature idyllique revenue à l’état sauvage, on fait disparaître des populations entières d’animaux que les chasseurs avaient appris à gérer depuis les 25 années de plan de chasse. »
A l’école de La Morte, il y a classe unique, c’est presque une utopie.
Ici, où les maquisards furent nombreux, on connaît le sens du devoir.
© Emmanuel Breteau
On travaille traditionnellement beaucoup, pas le choix, il faut trimer, rester dans la vallée est à ce prix.
« Avec la ferme, ce n’est pas facile de partir en vacances en famille, on est quand même partis plusieurs fois au Grau-du-Roi. Mais moi le matin à 6h je suis réveillé, je ne suis pas habitué à rien faire alors je marche dans les rues… En fait, c’est chiant les vacances ! »
La Mure, commune de 5 000 habitants, n’est pas si loin, on peut aussi y trouver du travail, ou là-haut, dans les stations de ski.
« A l’Alpe d’Huez, les collègues me disent : « Ha, un vrai moniteur de ski ! » L’origine du métier, c’est le paysan de la vallée qui faisait le travail de la ferme le matin et le soir et la journée il faisait le moniteur de ski, maintenant on est une poignée de moniteurs paysans. »

Ici, il y a parfois de spectaculaires avalanches, on est au cœur du tohu-bohu.
A La Morte, il y a une crèche, voyez-y merveille.
« C’est une vie assez rude et solitaire et on travaille toujours dans la pente. »

Paul, neuf ans : « Moi, là-haut, j’ai des coins secrets où je ramasse des carettes, c’est des pierres qui sont naturellement carrées et elles contiennent du métal. »
On ne s’invite pas dans la vallée comme cela, il faut la mériter, mais on peut déjà lire Derrière les montagnes, livre intelligent et beau, c’est un premier passeport.
Emmanuel Breteau, Derrière les montagnes, Visages dans la vallée de la Roizonne, photographies et textes Emmanuel Breteau, aide à la rédaction Christiane Soudy, préface de Isabelle Lazier, Arnaud Bizalion Editeur, 2020, 210 pages
