« C’est une heure incertaine, c’est une heure entre deux / Où le ciel n’est pas gris même quand le ciel pleut » (Françoise Hardy)
L’heure bleue, période entre le jour et la nuit où le ciel se remplit presque entièrement de bleu foncé, est aussi le titre d’une chanson de Françoise Hardy, un parfum de Jacques Guerlain (aïeul de Jean-Paul), une émission incontournable de Laure Adler sur France Inter, le premier des quatre sketchs du film de Eric Rohmer, Quatre aventures de Reinette et Mirabelle (1987), et le beau nom donné à la première exposition monographique jamais consacrée en France au peintre danois Peder Severin Krøyer (1851-1909) présentée actuellement au musée Marmottan Monet, accompagné d’un catalogue de grande élégance – broché avec rabats et couverture enveloppante – publié chez Hazan.
Moins célèbre pour le moment que son compatriote Vilhelm Hammershøi (1864-1916), peintre de scènes d’intérieur quand il est de plein air, Peder Severin Krøyer est un artiste très attachant, ayant beaucoup voyagé en Europe, et regardé notamment avec attention les impressionnistes français.
Installé plusieurs mois par an à Skagen, ville de pêcheur la plus au nord du Jutland, remarquable pour sa lumière cristalline et ses journées peu à peu sans nuit à l’approche du solstice d’été, Krøyer peint de multiples fois l’heure bleue, des scènes de la vie locale et des portraits d’artistes.
Son épouse Marie est souvent représentée, on peut songer à Renoir – ils se séparent cependant en 1905.
Leur double portrait peint en 1890 est sublime, d’une douceur extrême : tous deux regardent le spectateur, sans défi, ils sont sans masque, dans une vérité qui déchire le cœur.
Fragilisé par la syphilis qui l’emporta, Krøyer peignit quelques-unes de ses meilleures toiles alors que la cécité le gagnait.
Il y a beaucoup de délicatesse chez ce peintre aimant la vie, la mer étale, les enfants.
Pas de mièvrerie cependant, mais une célébration de ce qui est, des vaguelettes, d’une pèlerine, d’un groupe de pêcheurs alanguis.
Un chien près de sa maîtresse en crinoline, des petits garçons courant nu vers la mer en se tenant la main, le visage paisible d’une femme aux yeux bleus, des arbres en fleur, un banquet joyeux.
Partout la lumière touche hommes et choses comme une bienfaisance.
Les corps sont beaux, nobles, intacts.
Découvrant le tableau Bateaux de pêche (1884, Musée d’Orsay), Octave Mirbeau se réjouit : « Rien n’est plus délicieux que le tableau de M. Krøyer. La nuit est tombée sur la mer, une nuit bleue, transparente, magnifique, que la lune rose éclaire. La mer est calme ; pas un frisson, et sur sa surface immobile, la lune met ses clartés roses. L’eau vient mourir au rivage sous un bourrelet d’écume. »
Il va bien falloir réapprendre la vie, bientôt, demain, l’an prochain, et en transmettre la merveille à nos enfants.
Recommençons alors en joie de peinture calme et souveraine.
Une femme tient sa petite fille sur ses genoux. Toutes deux sont de dos, assises dehors sur un banc près d’une table, sous les frondaisons qui les bénissent. La nappe sur laquelle elles s’appuient est bleue, il y a des taches blanches ci et là : c’est une leçon de peinture.
L’heure bleue de Peder Severin Krøyer, textes de Sa Majesté Margrethe II, Reine du Damenark, Lisette Vind Ebbesen, Erik Desmazières, Mette Harbo Lehmann, Dominique Lobstein, Hazan, 2021, 224 pages
Catalogue officiel de l’exposition éponyme – commissariat Marianne Mathieu, Dominique Lobstein et Mette Harbo Lehmann – au Musée Marmottan Monet du 28 janvier au 25 juillet 2021 (vérifier les dates et périodes d’ouverture)