Kenneth White façon comic strips, une poésie nomade

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Après On ne peut vivre qu’à Paris (Editions Rivages, 2021), série de vignettes dessinées façon ligne claire, mettant en scène le philosophe Cioran pérégrinant à Paris tout en élaborant quelques méditations définitives, Patrice Reytier s’est emparé des phrases du poète et essayiste écossais vivant en France (Bretagne Nord) Kenneth White.

Le principe est tripartite, comme des haïkus visuels. Trois cases par page, à la manière des comic strips, un découpage laissant place au silence, à l’ellipse, à la stupeur un peu bouffonne.

Très peu de mots, du nomadisme, des haltes dans des paysages.

On vagabonde, on s’interroge profondément mais sans gravité, on vit quelques instants à Anderlecht dans la maison d’Erasme ou dans un monastère des Asturies.

On ne se pousse pas du col, on pense à hauteur d’hommes, de bâtiments, de densités de lieux, avec une belle humilité pouvant mener à la sagesse.

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Dans le chalet de Heidegger, en Forêt-Noire : « Quand la neige entourait la maison venait le temps de la philosophie. »

Essentiellement tirées de recueils parus au Mercure de France (En toute candeur, Limites et marges, Les rives du silence, Le passage extérieur), les phrases de La voie du vide et du vent, parfois réécrites par l’auteur, en ajoutant d’autres, inédites, s’éloignent de toute idéologie, de toute grandiloquence, de toute certitude orgueilleuse.

Plusieurs parties suivent allégrement le fil biographique du géopoète : Au fin fond du pays natal / Errances européennes / En Asie / Dans la montagne blanche / L’Archipel anonyme / Nouvelles du grand rivage.

Une grande douceur règne ici, une paix, une façon d’habiter pleinement le monde, dans le silence, la marche, le regard et le poème.

Les livres de Lismore : « Dix ballades bondissantes racontant la vie de Finn / cinquante poèmes lyriques aux formes complexes comme le bord d’un lac / et une poignée de paillardises. »

Les pierres sont de grès rouge, le lac très bleu, la pluie grise en sa poétique de rideaux déchirés.

Le ciel chuchote, les îles au loin miroitent, les goélands chantent ce qu’ils chantaient hier : « graak ! graak ! graak ! »

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Il y a des fantômes dans l’université de Glasgow, le brouillard recouvre les docks, à Stockholm il neige.

« Dans les Balkans, quand le temps n’est pas arrêté, il marche à reculons. »

Le cheminement planétaire de Kenneth White ainsi restitué, dans sa simple intensité, relève d’une initiation à la vie écopoétique, au charme de ce qui est : la Meuse, Nice (et Nietzsche), le lac Orta, Tübingen et sa tour hölderlinienne, Monaco, New York, Vancouver.

Rilke à Duino : « Ce fut là il y a exactement cent ans / dans la maison sur le promontoire que le vrai travail commença / que le cercle s’ouvrit aux ultimes limites de l’esprit. »

La voie du vide et du vent est une invitation à partir, à voler selon, physiquement et mentalement.

Des roseaux, des saules, des bouleaux.

Melville le baleinier à Arrowhead, entendant : « Herman ! à table ! »

Il faut être taoïste ou rien : « Où va le monde ? vers le blanc / Où va le blanc ? vers le vide / Où va le vide ? le vide va et vient comme le vent »

Il faut entrer dans le grand espace, comme une mouette rosée.  

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Patrice Reytier, La voie du vide et du vent, Un vagabondage planétaire, textes Kenneth White, couleurs Chantal Piot, traduction Marie-Claude White, édition Thomas Bout et Nicolas Finet, couverture Thierry Sestier, Rue de l’Echiquier BD, 2021, 96 pages

Editions Rue de l’Echiquier

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