Vers l’unité originelle, par Hermann Hesse, écrivain

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« Mais l’homme n’a pas le monopole de l’écriture. On peut très bien écrire sans mains, sans plume, sans pinceau, sans papier ni parchemin. Le vent, la mer, le fleuve et le torrent écrivent. Les animaux écrivent. La terre écrit quand elle plisse le front quelque part et barre ainsi la route à un fleuve, balaie une ville ou un bout de montagne. »

Publié en 1977 chez Suhrkamp Verlag, les cinq textes composant Le métier d’écrivain, de Hermann Hesse, inédits en français, sont désormais disponibles en Bibliothèque Rivages.

Ils témoignent de la nécessité de questionner le geste de l’écriture par un auteur pour qui la notion d’unité est essentielle, héritée de la pensée orientale – hindouiste/taoïste.

Hesse s’interroge ici sur le pouvoir des mots, la notion de personnage – il dit n’écrire que des « biographies de l’âme » -, la recherche ascensionnelle de soi dans une « dynamique spirituelle » (Nicolas Waquet), ce que l’on peut espérer d’une activité critique digne de ce nom, la complémentarité des esthétiques classiques et romantiques.  

Qui ne se souvient de Knulp, Demian, Siddhârta, Harry Haller, figures proprement mythiques ?

S’interrompant quelques instants dans l’écriture de Narcisse et Goldmund, le contempteur de la pauvre vie moderne intercepte une phrase s’imposant à lui : « A quoi bon gagner le monde aux dépens de ton âme ? »

Il ne s’agit pas d’opposer le besoin d’infini et l’ordre, la conscience de l’impermanence et la solidité des formes, le souci d’éducation et le retour à la nature, la spontanéité et la discipline, la pensée classique et la sensibilité romantique, mais de les associer, de les faire tourbillonner, de les assembler.

« Nous devons bien nous rendre compte, analyse Hesse, que le romantisme et le classicisme sont des pôles opposés, mais que nous n’avons jamais affaire dans la réalité à de pures incarnations de l’un ou de l’autre de ces principes. Nous devons bien savoir, au contraire, qu’en dépit de tous les programmes et de toutes les conceptions du monde, ces deux principes se touchent, se recoupent et se mélangent des milliers de fois. »  

Il faut donc être à la fois grec et hindou, les Allemands étant essentiellement, précise l’écrivain, d’essence romantique, ayant cependant préféré « les chemins butés et solitaires de la foi protestante » à ceux menant à la redécouverte d’eux-mêmes.

Le romantique voit dans les manifestations de la nature une magie d’écriture, d’expression, de traces demandant à être déchiffrées.

Bien plus rare encore, selon Hesse, que le poète-né, le critique-né est cet être rare capable, non de cultiver le ressentiment, ou le jugement de dédain, mais de comprendre les phénomènes intellectuels de son époque, de les inscrire dans des généalogies, d’entrevoir des continuités là où l’écrivain peine parfois à se lire lui-même, d’accueillir le travail de l’autre avec amour d’abord, plus qu’avec scepticisme.

« Le vrai critique aura toujours et avant tout un sens infaillible de l’authenticité et de la qualité de la langue, alors que le critique moyen confond facilement l’original et la copie, et se laisse même parfois bluffer. On reconnaît le vrai critique à deux traits. Premièrement, il écrit bien et son style est vivant, il est à tu et à toi avec sa propre langue, il n’en fait pas mauvais usage. Deuxièmement, il éprouve le besoin de contenir son individualité et s’y efforce, ce qu’il ne fait pas avec sa subjectivité. Il expose celle-ci avec une telle clarté que le lecteur peut s’en servir comme on se sert d’un mètre : sans partager les critères subjectifs et les préférences du critique, le lecteur arrivera facilement à lire les qualités objectives d’une œuvre à partir des réactions du critique. »

S’insurgeant contre la psychologie pseudo-freudienne des faux lettrés, l’écrivain allemand – qui défendit beaucoup l’invention de la psychanalyse – déplore de ne pouvoir s’appuyer sur une critique aussi objective que passionnée, alors que règnent les préjugés contre qui cherche à se détourner de l’abêtissement des humains suffrages.

« Le bourgeois, déclare-t-il, met volontiers dans le même sac les rêveurs et les fous. Il pressent, non sans raison, qu’il sombrerait aussitôt dans la folie s’il se risquait à explorer l’abîme de son propre univers intérieur, comme l’artiste, le mystique ou le philosophe. »   

9782743653088

Hermann Hesse, Le métier d’écrivain, traduction, préface et notes de Nicolas Waquet, Bibliothèque Rivages, 2021, 94 pages

Bibliothèque Rivages

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