
Depuis qu’elles sont apparues dans les rues de Calais, Nantes, La Roche-sur-Yon, Toulouse, Pékin, Reims, Yokohama, Santiago du Chili…, ces machines fantastiques, évoquant un bestiaire médiéval, ont transformé nos villes en théâtre.
Nous suivons, tels des serviteurs féodaux, leur lente déambulation, marionnettes géantes activées par un nombre conséquent de techniciens, parfois une dizaine de manipulateurs.
Nous les laissons nous dévorer, nous fasciner, agrandir nos yeux d’enfants.
Photos spectaculaires garanties, et bonheur des édiles, enchantant ainsi leur ville en la faisant découvrir autrement, en trois dimensions, et comme une vaste scène.
Méliès et l’art forain sont de retour, la visibilité des trucages eux-mêmes faisant partie de la levée de la joie en chacun.
© François Delarozière
Depuis près de vingt ans, l’inventeur-créateur François Delarozière est à la manœuvre, concepteur notamment de machines de spectacle pour la compagnie Royal de Luxe, et des pièces Le Géant, Le Rhinocéros, Le Petit Géant, Les Girafes, La Petite Géante, Le Grand Eléphant…
Des échanges fructueux se créent avec des habitants, des vocations naissent, l’utopie d’une féérie théâtrale métamorphose la nature même des lieux, par exemple actuellement – objet du livre Machines de ville – à Calais avec le Dragon, à Toulouse-Montaudran avec la Halle de la Machine, à l’île de Nantes avec Les Machines, à La Roche-sur-Yon avec Les Animaux de la place.
A Calais, un dragon se promène sur les quais du port de pêche, rien de plus fou, et rien de plus normal.
On peut penser aux machines du Anversois Panamarenko, ou, rappelle l’architecte David Mangin, au « Théâtre du Monde », créé par Aldo Rossi pour la Biennale de Venise de 1980, théâtre en bois monté sur une barge accueillant un théâtre éphémère mobile.
© François Delarozière
Occupant des territoires souvent en friche ou en déshérence, les Machines de François Delarozière semblent soustraire pour un temps la ville à sa logique uniquement marchande.
La foule est chaque fois au rendez-vous : besoin d’émerveillement, besoin de rassemblement, besoin d’innocence jouée.
Il y a chaque fois une impression de stupeur, de démesure, et de fraternité retrouvée.
Le public, fidèle, revient dès que se présentent de nouveau les Géants.
Le jeu est collectif, la foule intergénérationnelle, et de tous milieux.
© François Delarozière
Ça soude, forge, assemble, bricole, comme un enfant s’empare des pots de peinture, des morceaux de bois et des bouts de fer dans le garage de ses parents.
Les villes recyclent des territoires délaissés. Les chantiers navals de Nantes deviennent, sous la houlette de l’architecte et maître d’ouvrage Alexandre Chemetoff, une esplanade dédiée aux machines fantasques, la scénarisation de l’espace participant de sa mutation.
La beauté des dessins de François Delarozière rappellent ceux de Léonard de Vinci, mais aussi Jules Verne chez Hetzel.
Résonnant avec la fontaine Stravinsky de Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely à Beaubourg, le carnaval des animaux mécanisés de l’équipe Delarozière est d’une puissance visuelle immédiate : araignée, dromadaire, ibis sacré, crocodile, perche du Nil, hippopotame, colibri, héron, grenouille, crevette, véritables œuvres d’art et pièces techniques exemplaires, semblent surgir d’un esprit sans limite.
La ville de Calais tient une place à part dans l’histoire de la compagnie La Machine, tous ses spectacles y étant été présentés – remerciements personnels à Francis Peduzzi, directeur du Channel (Scène nationale bâtie par Patrick Bouchain sur le site des anciens abattoirs), et son inépuisable énergie en faveur des publics différents.
Dans le quartier déshérité des Cailloux se promènent comme s’ils y étaient chez eux depuis une éternité un dragon de quarante-huit tonnes et douze de mètres de haut, accompagné d’une araignée géante.
Iguanes et varans appelés à coloniser la ville durablement seront bientôt à demeure, sous la protection d’un gigantesque Dragon des mers installé à deux pas des ferrys en partance pour l’Angleterre.
Une structure métallique ouverte aux regards de tous est construite, abritant ce monstre crachant du feu, de la fumée, de l’eau, et vaporisant des brumes.
Mais l’aventure ne s’arrête pas là, Cardiff au Pays de Galle, Derry en Irlande du Nord, Inzinzac-Lochrist, près de Lorient, le hameau de Saint-Antoine, sur la commune de Lanrivain en Centre-Bretagne, recevront bientôt d’autres machines de ville, d’autres folies animales, destinées à réveiller en chaque endroit un potentiel de mythe endormi depuis bien longtemps.
François Delarozière, Machines de ville, propos recueillis par Philippe Dossal, préface de David Mangin, édition français / anglais, Actes Sud, 208 pages – 170 iconographies