©Thibaud Yevnine
Que comprend-on d’un pays ? Lorsque nous le rêvons, le manquons-nous davantage que lorsque nous le visitons ? Lorsque nous y vivons, n’est-on pas prisonnier d’une vision partielle, partiale ? Faut-il se documenter à fond ou simplement laisser libre cours à ses intuitions ?
Thibaud Yevnine, photographe, fut aussi enseignant pendant neuf mois à Maputo.
©Thibaud Yevnine
En un livre extrêmement délicat publié par Filigranes Editions, sans ego ou prétention de compréhension totale, l’auteur vivant aujourd’hui à Marseille a composé un portrait en couleur de la capitale du Mozambique.
Quarante photographies seulement, mais quarante condensés de sensations, quarante pistes de réflexions, quarante climats ou atmosphères.
©Thibaud Yevnine
« Dans cette terre étrangère, confie l’auteur à son éditeur Patrick Le Bescont, il m’était impossible de photographier ; dès que je sortais mon appareil j’étais traversé par les regards. C’était comme des regards-contacts : puissant, déstabilisant. J’étais parti pour neuf mois. Je faisais un stage de fin d’étude dans un institut des langues (une structure mozambicaine) : j’enseignais le français à des jeunes d’une vingtaine d’années. Ils vivaient en marge du centre-ville, ils se levaient à cinq heures pour mes cours qui commençaient à sept. Ils me racontaient toutes sortes d’histoires qui me captivaient.
Je suis pourtant parvenu à photographier, grâce à un téléphone portable ; un vieux téléphone, avec du grain et un temps de latence au déclenchement. En 2011, ce type d’appareil passait inaperçu. Je gagnais en invisibilité. Le grain du téléphone m’est apparu étrangement doux.
Je marchais beaucoup. Je photographiais sans cesse. Je ne m’arrêtais quasiment jamais pour cadrer. Je laissais venir et faire dans le mouvement de la marche, mouvement qui devenait celui d’une danse. Je lisais le Tao, le détachement, le non-agir. Les immeubles, le bruit permanent, l’éloignement des repères, tout cela et bien d’autres choses encore seraient devenus insoutenables sans cet appui du mouvement, de la danse et de la photographie. »
On entre à Maputo la vive avec le calme souverain de ses photographies, de petites dimensions sur la page.
©Thibaud Yevnine
Entourées de blanc, les nuances de noirs et les aplats de couleurs s’affinent, se précisent, s’épanouissent.
Dans la frénésie de la grande ville d’Afrique australe, Thibaud Yevnine parvient à suspendre le temps, à l’arrêter, et à le densifier.
Les personnes que rencontre le photographe, remarque Maryam Madjidi dans sa préface, sont généralement seules, isolées, comme face à une interrogation intime fondamentale.
©Thibaud Yevnine
Un petit garçon face à des auto-tamponneuses, une femme dans sa cuisine regardant vers l’extérieur, un homme dans un bar.
Le vide est plein, le plein est vide, mais tout respire à l’unisson du regardeur, sereinement, qu’il s’agisse d’un pan d’immeuble vétuste, d’une bâche fantomatique, de l’ombre d’un arbre ou d’une palissade sur un mur ocre.
Il y a des chaises en attente d’être occupées, des tables nues, des nacelles de manège sans occupants.
Les couleurs dialoguent en diptyques, mais aussi les formes, les pierres et les végétaux, les corps en mouvement et les corps à l’arrêt.
©Thibaud Yevnine
Thibaud Yevnine est un sensualiste. En ses images, mêmes mélancoliques, tout est désir, éveil, pointes de satori.
Un verre sur une nappe orange, une inscription sur un mur, une femme qui danse en tourbillonnant, une autre qui dort torse nu, un fauteuil de cinéma dans la pénombre.
« D’une manière générale, il a fallu du temps pour tout, pour que je puisse voir la ville comme elle était et pas comme je la voulais, pour que je puisse accepter, rencontrer, aimer aussi. »
©Thibaud Yevnine
Voilà, c’est cette dimension de réciprocité dans l’accueil dont témoigne avec beaucoup de grâce Maputo.
©Thibaud Yevnine
Thibaud Yevnine, Maputo, texte (français/anglais) Maryam Madjidi, conception éditoriale Patrick Le Bescont, Filigranes Editions, 2021, 64 pages