Enquêtes d’identité, par Patrick Zachmann, photographe

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Gala, salle Gaveau, Paris, 1981 ©Patrick Zachmann / Magnum Photos

Douzième livre monographique de Patrick Zachmann, membre de l’agence Magnum, Voyages de mémoire, publié à l’occasion d’une exposition au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (Paris), rassemble une douzaine de ses grandes séries, pour certaines jamais publiées, sa dernière rétrospective d’envergure datant de 2016 à la Maison Européenne de la Photographie (livre So Long, China, publié par Xavier Barral).

On y retrouve les thèmes majeurs du photographe errant entre espaces intérieurs et mondes extérieurs : l’identité juive, dans sa famille et à travers l’Europe, ainsi que le traitement des notions de communauté, d’exil et de disparition (en Afrique du Sud, au Rwanda, au Chili, en Bosnie).

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Autoportrait avec ma mère, Paris, 1983 ©Patrick Zachmann / Magnum Photos

De famille judéo-polonaise par son père et judéo-algérienne par sa mère, Patrick Zachmann, conjointement à son travail de photojournaliste, cherche à reconstruire, confie-t-il, les albums de la famille qu’il n’a pas eue.

« Son enfance, précise Paul Salmona, directeur du mahJ, est marquée par un double silence : celui de son père, juif polonais né en France, rejetant dans le non-dit la déportation et l’assassinat de ses parents en 1942 ; et celui de sa mère, juive d’Algérie, désireuse d’oublier la misère de sa famille dans le Maghreb colonial. »

Faire parler ce silence, trouver des mots et des représentations, deviendra la quête d’une vie, le photographe édifiant son œuvre contre l’amnésie.

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Soirée privée, Paris, 1981 ©Patrick Zachmann / Magnum Photos

Comment se réapproprie-t-on une mémoire absente ? Comment être à la fois juif et laïc ?

Portrait des juifs de France, Enquête d’identité (1979) est un premier travail d’importance sur les images manquantes de sa vie.

« Pendant des mois, déclare le photographe, j’ai suivi des juifs orthodoxes, des hassidim, principalement des Loubavitch. Des visages m’attiraient, des gestes me bouleversaient. Je retrouvais des attitudes qui m’étaient familières chez des inconnus et qui me troublaient violemment sans que je puisse l’analyser. »

Patrick Zachmann observe les corps, les mouvements, les rites (dont une éprouvante scène de circoncision), les danses, la fierté des regards, la ferveur, jusqu’à la drôlerie (un jeune pratiquant tenant un poulet contre lui se penche pour lire la Torah, donnant l’impression que le volatile la respecte aussi).

En 1981, il photographie à Jérusalem, sans pathos, mais avec une grande force d’attention pour les visages – les portraits sont sur fond neutre -, le premier rassemblement mondial des survivants de la Shoah.

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Parc des Buttes-Chaumont, Paris,1983, À droite, Jacques et Hélène Grabstock ©Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Certains, remarque-t-il, ont probablement accepté de poser précisément parce qu’ils pouvaient ainsi garder le silence. »

Etoile juive tenue du bout des doigts avec dégoût, tatouages d’un matricule sur l’avant-bras, caractéristique des rescapés d’Auschwitz-Birkenau.

Deux femmes emprisonnées dans le même camp se retrouvent quarante ans après, elles pleurent.

Dans un contexte de résurgence en France, dans les années 1980, d’actes antisémites, Patrick Zachmann photographie des groupes d’autodéfense d’inspiration sioniste, puis, dans la continuité du regard de Diane Arbus et de Jean-Daniel Pollet (film Pourvu qu’on ait l’ivresse, 1958), des bals d’ambiance séfarade, le rattachant ainsi inconsciemment au passé de sa mère, et à la rencontre de ses parents dans un tel lieu de sociabilité.

Apprenant que des vieux ashkénazes yiddihsophones se retrouvent chaque jour au parc des Buttes-Chaumont, le photographe réalise une nouvelle une série sur un monde en voie de disparition.

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Cimetière de Bagneux, 1981 ©Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Je voulais photographier, avoue-t-il, toutes sortes de juifs, des ashkénazes, des séfarades, des religieux, des non-croyants, des communautaristes, des électrons libres, des intellectuels, des artistes, des ouvriers, des commerçants, des intelligents, des stupides, des riches, des pauvres… Je voulais déconstruire certains clichés et dresser un portrait subjectif des juifs de France qui les montrerait dans leur diversité, et, finalement, dans leurs identités multiples. »

Travaillant à la façon de l’Allemand August Sander, il fera alors le portrait de juifs « ordinaires », s’intéressant notamment à l’absence de signes de judéité pour porter le regard vers leur identité intérieure, mais aussi aux membres de sa famille élargie.

En photographiant le camp d’Auschwitz en 2000, il se souvient de ses grands-parents internés d’abord à Drancy avant d’être déportés et assassinés en Pologne.

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Survivants tutsis, Rwanda, 2000 ©Patrick Zachmann / Magnum Photos

La question de l’identité juive et des persécutions est ainsi au cœur des préoccupations d’un photographe touché au vif par les problématiques de haine raciale – il est en 1990 en Afrique du Sud pour documenter la libération de Nelson Mandela, et tombe sur une manifestation néonazie à Pretoria -, d’oubli (les disparus chiliens sous le régime de Pinochet), de survivance (les Tutsis au Rwanda) et d’exil (dans sa propre famille et aujourd’hui avec les migrants en mer Méditerranée).

« Hanté par les non-dits de ses parents, souffrant du double refoulement de son histoire familiale, Zachmann, écrit superbement Paul Salmona, fait de sa quête personnelle une clef de déchiffrement du réel. Son questionnement sur la judéité – celle des autres aussi bien que la sienne – se transforme en une interrogation sur les universaux de l’existence humaine. A l’ambition fantasmatique de transformer radicalement le monde, caractéristique de ses années militantes, Patrick Zachmann a substitué celle de le comprendre pour contribuer à le réparer, dans une version humaniste de la « réparation du monde » (tiqqoun olam) des mystiques juifs. »

Voyages de mémoire, publié comme toujours avec grand soin par Atelier EXB, se termine par une image bouleversante d’un petit-fils tenant la main de sa mère endormie sur un lit d’hôpital.

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Patrick Zachmann, Voyages de mémoire, avant-propos de Dominique Schnapper, textes de Patrick Zachmann et Paul Salmona, édition Jordan Alves, design graphique Coline Aguettaz, photogravure Les Artisans du Regard, Atelier EXB / Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, 2021, 224 pages

Atelier EXB

Patrick Zachmann

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Prière, rue des Rosiers, Paris, 1979 ©Patrick Zachmann / Magnum Photos

Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition éponyme présentée au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Paris), du 2 décembre 2021 au 6 mars 2022

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  1. irene tetaz dit :

    coup de coeur…le voilà commandé…merci !!!

    J’aime

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