
Ah Marseille, la charmante, la méridionale, la divinement ensoleillée.
Ah le comptoir phénicien devenu deuxième capitale de la France.
Ah le Mucem, la beauté des quais, l’horizon bleuté.
Oui, tout cela n’est pas faux, mais il y a aussi la misère, le délabrement, les combines, la corruption morale, à tous niveaux.
©Anthony Micallef
Marseille est l’une des dernières villes de cette importance à posséder des quartiers populaires en son sein, battements de vie là où généralement le peuple a été chassé par la cherté des loyers.
Installé à Marseille, deux mois à peine avant les effondrements de plusieurs bâtiments de la rue d’Aubagne, dans le quartier de Noailles, le 5 novembre 2018, faisant huit morts en plein centre-ville, le photographe indépendant Anthony Micallef a pensé le livre Indigne Toit (André Frère Editions) comme un manifeste visuel afin d’alerter sur la question du mal-logement dans la cité méditerranéenne.
Quand il y a tant de richesses autour, l’insalubrité devient un problème politique, presque un choix d’aménagement du territoire par l’arasement progressif – la gentrification passe souvent par là, comme à Barcelone il y a vingt ans.

Anthony Micallef a photographié, chez elle, dans la rue, dans des hôtels, une population invisibilisée, en colère, se sentant abandonnée, et en danger de mort imminente.
A quand le prochain drame ? le prochain écroulement ? qui sera sur la liste funèbre demain ?
On condamne des entrées, on évacue, on déplace : cinq mille personnes sont envoyées dans des hôtels, il en reste encore aujourd’hui cinq cents sans solution de logement pérenne, alors que les expulsions préventives continuent – pour deux immeubles dangereux condamnés, il faut en cadenasser dix.
Attention, la bibliothèque est trop lourde, le plancher pourrait s’effondrer.
Eh, on ne rajouterait pas un ou deux étais sous l’escalier ?
Je n’arrive plus à trouver de cartons, ils sont tous pris d’assaut.

Nadia : « J’ai le dos massacré car mon lit est en pente. Le sol est de plus en plus penché, les fissures sont apparues de manière très rapide et durant les orages il pleut sur mon lit. Pire : je fais des cauchemars où ma fille me cherche sous les décombres. Au troisième étage, il y a une dame en fauteuil roulant, elle le laisse en bas et monte les escaliers en béquilles. Parfois, j’ai l’impression d’habiter l’antre du diable… Ici c’est hors de prix mais c’est mieux que de dormir dans la rue. J’ai déjà donné, la rue, je ne veux plus y retourner. »
Des sacs remplis à ras-bord, des chauffages d’appoint, des entassements d’affaires, des tiroirs de guingois qui débordent, voilà le quotidien des sous-logés.
Sur le Vieux-Port, on manifeste, on crie, on banderole.
Chaima : « Il y a quelques mois, pendant que je faisais la cuisine avec mes enfants, un morceau du plafond nous est tombé dessus. On a été évacués. Aujourd’hui la mairie a levé l’état de péril et mon propriétaire insiste pour que je réintègre les lieux. Pourtant on le voit bien, rien n’a été réparé : je ne veux pas revenir ici avec mes enfants, c’est trop dangereux. Et depuis que je dénonce la situation de mon immeuble, je reçois des menaces de mort sur mon téléphone. Dans tout cela, personne ne m’aide, alors j’ai entamé une grève de la faim. Pour qu’on sache que notre vie est en danger. Pour eux, on n’est pas des humains, ils sont en train de nous enterrer vivants. »
©Anthony Micallef
Y aurait-il un mépris de classe ? Question naïve.
Ça chute, ça brûle, ça rend fou.
Les images d’Anthony Micallef sont édifiantes.
Nous ne sommes pas en Californie en 1936 avec des journaliers affamés, mais à Marseille aujourd’hui au temps du lucre et de la spéculation immobilière.
Le peuple en bave, serait-il de trop ?
Tiens, regarde, j’ai trouvé un scorpion sous l’oreiller.
Trinquons à ceux qui ne trinqueront plus, la solidarité s’exerce aussi envers les défunts.
Iryna : « Après l’évacuation, Amine allait chaque jour à l’école avec son sac de jouets tellement il avait peur de ne pas pouvoir les retrouver le soir. Lui qui n’avait jamais été malade, il a enchaîné scarlatine, varicelle et otite, il a perdu cinq kilos. »
En quatrième de couverture, cette phrase de l’Abbé Pierre, très hugolienne : « Chaque fois que l’on refuse un milliard pour le logement, c’est dix milliards que l’on prépare pour les tribunaux, les prisons, les asiles de fous. »
Anthony Micallef, Indigne Toit, conception et design Joao Linneu, André Frère Editions, 2021
Il est possible d’entendre aussi la voix des personnes de ce livre en scannant les QR codes fournis en même temps que l’édition.
L’ensemble des témoignages est rassemblé sur http://www.indignetoit.com