
New York, vous en rêvez n’est-ce pas ? Découvrir la cité phare, la cité électrique, la cité folle.
New York, oui, mais lequel ?
La ville américaine, ou celle du Donbass.
Appelée depuis 1951 Novhorodske, le New York ukrainien n’est situé qu’à quatre kilomètres du front.
Pensé par le photographe Niels Ackermann et le journaliste Sébastien Gobert – tous deux ont déjà publié en 2017 Looking for Lenin aux éditions Noir sur Blanc- comme le guide improbable d’une ville échappant aux radars des tour-opérateurs et des compagnies d’avion low cost, New York, Ukraine fait le portrait d’une entité géographique inattendue, marquée par l’énergie de vie des habitants refusant de se laisser assimiler à l’empire russe en luttant pour la liberté.
Les frontières sont menacées, il faut tenir, la guerre de Cent ans se poursuit.
Zone d’intérêt stratégique pour le Kremlin, le Donbass est déstabilisé, un conflit sanglant a commencé en 2014, le paysage est bouleversé.
« Le livre que vous tenez entre les mains, précise en préface l’écrivain ukrainien culte Serhiy Jadan, offre justement cette possibilité : regarder cela de près, voir cet étrange monde postsoviétique, postindustriel de l’Est ukrainien, où coexistent si étroitement, si étrangement et si douloureusement le passé presque oublié et l’avenir toujours incertain, et où les vestiges des époques historiques avec leur idéologie et leur esthétique composent une mosaïque bigarrée et pas toujours organique. »

Niels Ackermann ne photographie pas la déréliction ou le désespoir, mais la fantaisie du quotidien, les couleurs de la vie, la dignité du peuple, dans un environnement certes gris (les usines) ou blanc (la neige).
On se retrouve dans l’unique discothèque de la ville, à la fête de l’école, dans l’usine de phénol, sous un abribus ou un drapeau, devant un monument aux morts ou dans un bar.
Pas de misérabilisme, mais des situations cocasses, l’énergie de la jeunesse, la douce surréalité de la banalité sans malfaisance.
Il y a aussi des vestiges de la guerre, un propulseur de roquette RPG-26, la queue d’empennage d’un obus mortier OF-843, un étui de munition de mitrailleuse lourde DShK 12,7 mm, les connaisseurs de l’horreur apprécieront.
Chez Niels Ackermann – en 85 photographes en couleur -, le quotidien à New York se déroule avec drôlerie, gravité, drame muet.
Il y a une chaise vide dans une pièce : pour quelles fins ?
Un ruban aux couleurs nationales sur un bouleau : une frontière ?
Une passerelle, un aquarium, une institutrice, des ouvriers, une cave voûtée, une danseuse, des amoureux, des avenues désertes, des oiseaux en cage, des motos, des champs, un lac.
« A travers ce guide de la New York ukrainienne, précise Sébastien Gobert, nous vous invitons à explorer la dualité d’une petite ville de la ligne de front exaltée par le symbolisme d’un nom mythique. »
Une ville entre optimisme et lassitude, entre survie et espoir, entre vétusté et modernité, entre le fini du bâti et l’infini des steppes, entre guerre et paix.

Aujourd’hui, les Novhorodskiens veulent rendre à leur ville son nom originel.
Le 1er juillet 2021, le Parlement ukrainien a accepté le rétablissement du nom de New York, comme une dynamique nouvelle, un espoir, une renaissance.
En fin d’ouvrage, un glossaire permet d’apprendre des expressions françaises traduites en ukrainien et en russe avec leur prononciation dans les deux langues.
Bon voyage à l’Est pour un destination anti-touristique parfaite.
Niels Ackermann, New York, Ukraine, guide d’une ville inattendue, avant-propos de Serhiy Jadan, texte Sébastien Gobert, coordination éditoriale Fanny Mossière, layout et design Colin Droz & Nathalie Imhof, Les éditions Noir sur Blanc (Lausanne), 2021, 204 pages