Polyptyque de saint Vincent Ferrier, 1464-1470, de Giovanni Bellini, exposé dans la basilique San Zanipolo, Venise
« si, j’oubliai, il s’est passé ceci, sans un mot / dans l’ourlet de la vague / juste vu / toi nue / un trait de fusain blond au bas du ventre / ou plutôt / au haut de tes jambes / personne ne m’a vu voir ça je n’ai jamais été moins seul ni l’enfance // mon amour / je te remercie / de m’avoir fait une place dans les bagnes de la mer // fusain dans le souvenir duquel / s’envolent / les hirondelles / dans l’énergie, dans la décision duquel » (Dominique Fourcade)
vous m’avez fait chercher est l’un des livres les plus merveilleux qui soit, incontestablement une réussite éditoriale, tant il convoque d’intelligence, de sensibilité, de beauté – on peut penser aux ouvrages publiés par Skira dans la collection Les Sentiers de la Création.
Composé par le poète Dominique Fourcade, le philosophe Hadrien France-Lanord, et la professeure Sophie Pailloux-Riggi, cet ouvrage associant notes introspectives, poèmes, réflexions sur l’art, et images – couvertures de livres, reproduction de tableaux, de scènes de films, moments de spectacles, sculptures préhistoriques, arbres, fleurs, le chien Mohador – est une formidable façon de découvrir l’œuvre d’un poète qu’il faut tout simplement connaître pour vivre mieux, élargi.
Sorte d’autobiographie convoquant les images d’une vie, celles qui nourrissent, déplacent, créent une forme de stupeur dans l’ordre des jours, vous m’avez fait chercher est un livre rendant hommage aux images/scènes ayant eu un pouvoir de présence destinal.

Pas de testament, surtout pas, mais une expérimentation jazzée, une « énergie sauvage » déclenchant « des réactions en chaîne », « des arcs électriques ».
A l’orée de son livre, l’auteur de Rose-déclic (1984), Outrance utterance et autres élégies (1990), et sans lasso et sans flash (2005), pour ne donner que quelques titres, écrit magnifiquement : « le bain dans l’océan est le seul moment où je revis intacte imparable une sensation d’enfance / depuis / il ne s’est rien passé que le tonnerre du vide / au point que seule sur l’immense plage l’enfance tient tête à l’océan / l’enfance qui me tient tête / magdaléniennement »
Manifeste de la poésie vécue, vous m’avez fait chercher ne cache pas sa poétique, offre sa fabrique, ouvre son atelier : « et du murmure de ces images ne s’est pas élevé un hurlement, tout a été contenu dans le livre, équilibré plutôt, par les intensités réciproques / d’ailleurs hors du livre, la rue par exemple, ou tes reins doux comme le massacre du soleil par des soirs les sabres assassinés, c’est toujours le livre – du moins telle que je vois les choses »
Les feuilles du laurier de Dominique Fourcade s’appellent Nicolas Poussin, Simon Hantaï, Georges Oppen, Lascaux, Thelonius Monk, Matisse, les éditions de Minuit (les quatre volumes dénonçant les ignominies françaises en Algérie), le quatuor Baudelaire-Nerval-Mallarmé-Rimbaud, Manet, Cézanne, Louis Jouvet, Pierre Souvtchinsky (de la « dynamite » pour Marina Tsvétaïeva), George Balanchine, René Char, Titien, Edgar Degas (splendeur d’un nu de dos, véritable origine du monde), Charlotte Delbo (et son déchirant « Essayez de regarder. Essayez pour voir. »), Pina Bausch, Lauren Bacall, Robert Mitchum, William Carlos Williams, Louis Zukofsky, Anthony Caro, Emily Dickinson, Giovanni Bellini, Camille Corot, Paul Otchakovsky-Laurens.
Qu’est-ce qu’une lecture véritable ? un serment de fidélité.
Week-end, 1967, Jean-Luc Godard
L’enfance passe de Dien-Bien-Phu à Jean-Luc Godard : « Rupture tu es enfin là. Et tout au long l’amitié de Gérard Masson. Très important : en sortant du Mac Mahon j’éprouve que notre génération prend les choses en main, que le temps devient soudain notre propre temps, que quelque chose peut repartir. Et puis les filles se marrent, carrément elles nous échappent, avant de nous revenir différentes mais nous aussi nous sommes méconnaissables. C’est une grande responsabilité la nouvelle façon de percevoir, la forme nouvelle de tout. A bout de souffle c’est pour mon écriture, et ma poésie sera ce cinéma ou rien. »
Mais Dominique Fourcade, c’est aussi le football – très important le ballon du petit garçon -, le match Allemagne-Hongrie en finale de la Coupe du monde de 1954, l’admiration pour Pelé, un sport qu’il faut considérer au fond comme de la danse – qui sauve.
Le corps des femmes, leurs plis et déplis, est ainsi pour le poète une autre façon – love suprême de la Bethsabée de Rembrandt, de Georgia O’Keeffe dénudé par Alfred Stieglitz, de la passante au feston -, de connaître la présence, l’intensité.
« la marque sous tes seins laissée pendant peu de temps par ton soutien-gorge, minutes que j’aime plus que toutes autres, temps que je vis à ton insu »
L’inventeur Pelé
Eloge de la prose de Bossuet, de Madame de La Fayette, de la marquise de Sévigné : Dieu est là, comme dans une chapelle de Tadao Ando, ou dans l’abside centrale de Sainte-Sophie quand elle était encore byzantine, et même encore aujourd’hui, allez.
Eloge de la poésie de Rilke, de Friedrich Hölderlin, ces absolus littéraires.
Brûlure des passions raciniennes – et de l’abîme s’ouvrant entre être et non-être quand l’un des deux se retire.
« ne jamais dire ma solitude, jamais employer le possessif, c’est laid très laid le possessif c’est un possédé qui vous le dit, la solitude que je vis ne m’appartient pas, elle n’est ni à moi ni à personne, j’ai simplement une part, encore n’est-il pas sûr que j’en aie vraiment une, pour qui est-ce que je me prends »
Dominique Fourcade, Hadrien France-Lanord, Sophie Pailloux-Riggi, vous m’avez fait chercher, P.O.L., 2021, 270 pages
A lire aussi le très stimulant improvisations et arrangements – édition établie par Hadrien France-Lanord, P.O.L., 2018 – ouvrage compilant des entretiens donnés par Dominique Fourcade à l’occasion de la parution de ses livres.
Ainsi : « Le neutre vous m’excusez c’est mon secret. »
Thelonius Sphere Monk
Un neutre, oui, mais explosif.