De l’esclavage en Amérique, par Catherine Bernad

Harper's weekly.

 Groupe d’esclaves émancipés paru dans Harper’s Weekly  en 1864 

« A leur naissance, les enfants prennent obligatoirement le statut de leur mère. Si leur mère est esclave, ils sont esclaves. Même si, pour une raison ou une autre, leur mère devient libre, ses enfants demeurent captifs et continuent d’appartenir légalement à leur propriétaire. » (loi du système esclavagiste américain)

Isaac et Rosa, de Catherine Bernad, est un petit livre singulier, terrible et très intéressant.

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Carte de visite de Isaac et Rosa

C’est une étude, en images et textes, de l’histoire d’une photographie, conçue comme une « carte de visite », de deux enfants esclaves affranchis, Isaac et Rosa, produite comme une série d’autres sur le même thème en 1863, au cœur de la Guerre de Sécession, par des photographes new-yorkais.

Il s’agit donc d’un document en faveur de la cause abolitionniste du Président Lincoln – il sera assassiné le 15 avril 1865 – et de l’éducation des esclaves noirs émancipés, les images vendues servant à récolter des fonds pour les écoles de la Nouvelle-Orléans leur étant destinées.

Mais aujourd’hui ces images réapparaissent sur les réseaux sociaux, privées de leur contexte, en étant mises au service de thèses complotistes, au moment où le mouvement Black Lives Matter a pris son essor, cherchant à invalider les luttes de reconnaissance des Afro-Américains aux Etats-Unis et à nier la gravité de la traite négrière.

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Carte de visite Rebecca « Oh ! how I love the old Flag »

Isaac est un garçon noir de huit ans, et Rosa/Rosina une enfant blonde de presque sept ans, née d’une mère mulâtre claire.

Mais il y a aussi Rébecca, onze ans, Charles Taylor, sept ans, Mary Johnson – « sur son bras gauche, précise Catherine Bernad, se trouvent les cicatrices de trois entailles données par sa maîtresse avec une lanière de cuir brut Sur son dos se trouvent les cicatrices de plus de cinquante coupures données par son maître, parce qu’un matin, elle avait eu une demi-heure de retard pour apporter sa tasse de café de cinq heures. » -, Augusta, neuf ans, Wilson, Robert, tous anciens esclaves.

Rassemblant des archives datant de la guerre civile, centrées particulièrement sur la Nouvelle-Orléans, port moderne alors marché d’esclaves important, l’auteure de Nis Nas (chronique dans L’Intervalle le 30 mars 2021) questionne la façon dont un conflit se gagne aussi sur la bataille des images et de la propagande, la diffusion des « cartes de visite » montrant notamment des enfants au teint clair permettant une prise de conscience accrue de la réalité de l’esclavage – il suffit pour la loi américaine d’une goutte de sang noir pour être noir, même si l’on est blanc de peau.

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Portrait  de Rosa, Charles et Rebecca emmitouflés dans le drapeau Nordiste

« La fameuse photo d’Isaac et Rosa a été réalisée en partie pour l’effet produit par le contraste de leur couleur de peau. La représentation d’un avenir possible où la mixité entre race ne serait plus interdite ne manquait pas d’effrayer la plupart des Américains du Nord comme du Sud. Cependant, en 1863, la pose ne laissait aucun doute :  il était encore impensable qu’une petite fille blanche se tienne « bras dessus, bras dessous » avec un petit garçon noir, et pour cette raison, Rosa ne pouvait être que métisse. »

On retrouve aujourd’hui sur Internet ces images produites plus de cent cinquante ans plus tôt, dans une utilisation raciste par les Suprématistes blancs, dont un bon nombre de descendants d’Irlandais immigrés refusant d’être assimilés à des « nègres », eux qui furent aussi discriminés et maltraités.

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Produit dérivé proposant des T-shirt à l’effigie d’Isaac et Rosa

Il est passionnant d’observer la migration des images, devenant finalement, pour les « cartes de visite » abolitionnistes, des produits dérivés se retrouvant sur des tapis de yoga, des mugs ou des couettes.

Le petit couple est rentable, les appropriationnistes ont de l’avenir.

Couverture 1ere copie

Catherine Bernad, Isaac et Rosa. Esclavage, propagande et affabulation, Koalath, 2021, 72 pages

Editions Koalath

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