
Bien sûr, nous ne voyons pas, ou mal, nous passons, nous rêvassons, nous sommes affairés.
Prendre le temps d’observer l’organisation formelle des apparences relève de l’art de vivre, qui est aussi une éthique et une ambition intellectuelle pouvant conduire à la réalisation d’une œuvre photographique au long cours.
Ainsi celle de Marc Loyon, ayant regardé, à l’occasion de ses derniers travaux menés lors d’une résidence d’artiste, le campus de Rennes Beaulieu, territoire universitaire mêlant architecture et espaces verts sur une soixantaine d’hectares.

Ponctué par des bâtiments modernistes en béton armé, ce campus à l’américaine est bien plus divers qu’on ne le pense d’abord.
Il faut pour s’en rendre compte une capacité à faire des pas de côté, à cheminer dans les contre-allées, à prendre de la hauteur.
S’ouvrant sur la planche anatomique très grand format d’une salamandre, le livre de Marc Loyon, De la hauteur, publié par le duo Gaëtan Chevrier et Jérôme Blin aux éditions Sur la Crête, indique une direction qui est autant physico-pratique que mythologique ou symbolique, la salamandre représentant dans l’iconographie médiévale le Juste qui ne perd point la paix de son âme et la confiance en Dieu au milieu des tribulations.


Engagé dans un vaste processus de rénovation, notamment de ses résidences, le campus de Beaulieu se métamorphose en gardant sa structure interne, puisqu’il faut, selon la formule de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, que tout change pour que rien ne change.
Marc Loyon fixe son attention sur des lumières, du mobilier scolaire, des corps insérés dans un espace dédié à la recherche et à la connaissance.
Ainsi va, entre validation des compétences, sessions d’examens et temps plus faibles, l’université française en son beau projet d’émancipation pour tous – aujourd’hui redéfini, dans la logique de la rigueur économique, en employabilité de tous.

Des casiers de professeurs, des rideaux, des parcours, et des usagers, les étudiants de Rennes 1, quelque peu fantomatiques dans le gris assez monacal de la grandeur universitaire sans joliesse qui les accueille.
Les constructions elles-mêmes semblent, telles que restituées par le regard du photographe, douées d’une vie autonome, quasi organique, de toitures, de bouches d’aération et d’ateliers pour initiés.
Des clés, des machines, des couloirs, des laboratoires.

Etudiants comme professeurs sont en ces espaces austères de production de savoir des guetteurs, des veilleurs, des éveilleurs, des éveillés.
Le végétal reste encore relativement discret, sa puissance est contenue, il faut apprendre à vivre avec ce qui échappe.

De la hauteur n’est pas un inventaire, mais un ensemble de coupes et de visions d’une entité pensée par l’Etat et ses partenaires pour y faire régner l’esprit d’aujourd’hui en inventant celui de demain.
Marc Loyon, De la hauteur, textes Agnès Schermann, conseils et propositions de Jérôme Blin et Gaëtan Chevrier, éditions Sur la Crête, 2021 – 600 exemplaires

Exposition du 15 novembre 2021 au 11 février 2022 – Le Diapason & Cité Universitaire, campus de Beaulieu, Rennes

