©Laure Vasconi
Lors du premier confinement, du mois de mars au mois de mai 2020, la photographe Laure Vasconi et l’architecte Ignacio Prego ont conçu un essai photographique d’une terrifiante beauté.
Intitulé Paris Eclipses, cet ouvrage édité avec beaucoup d’intelligence sur plusieurs types de papiers – comme autant de possibilités de toucher – est un espace mental rendant compte, à partir des surfaces minérales de bâtiments haussmanniens ou d’immeubles moins luxueux, d’un état de claustration et de méditation.
Le marbre est une marée, la houle de pierre est un ciel, le microcosme et le macrocosme se transfèrent leurs spécificités dans le grand tohu-bohu des éléments brassés ensemble.
©Laure Vasconi
Sous-titré Mémoires de confinement, cet album plongé dans la pénombre évoque tout autant le big bang originel que la fin du monde.
Les arbres ont des tonalités nervaliennes, avant que de disparaître sous la pluie d’atomes de la mélancolie.
L’œil fait le point dans le néant, découvrant probablement les territoires de sa propre psyché engourdie par le formol de l’enfermement.
©Laure Vasconi
Dans le tondo des édifices du baron constructeur, l’absence d’horizon fait songer au mur aveugle de La Flagellation du Christ de Piero della Francesca, soit le pur esprit en sa puissance aveugle et terrifiante, brutale et fascinante, renvoyant chacun à sa propre intériorité.
« Le silence et le vide, écrit dans son texte Jean-Marie Durand, confèrent à Paris le visage d’une ville-fantôme, dont l’horizon de la catastrophe se dessine à chaque coin de rue. »
Les rues sont vides, les humains se cachent, il y a une atmosphère de polar et d’apocalypse.
©Laure Vasconi
Dans le miroir brisé de notre contemporanéité, la vie offre le spectacle d’un chaos très bien organisé.
La bombe à neutrons du virus attaque les tissus organiques, en laissant intactes les infrastructures de pierre.
Les murs acquièrent une présence nouvelle, géants demeurant immobiles au cœur de la tempête.
Les survivants de la Troisième Guerre mondiale de La Jetée de Chris Marker se réfugiaient dans des sous-sols, les rescapés de la post-histoire sont désormais protégés par les volets clos de leur logis, et par leur mutisme d’effarement.
©Laure Vasconi
Les veines des blocs marmoréens photographiés par Laure Vasconi métaphorisent alors une fracture interne, la fission d’un cerveau indisponible pour penser jusqu’au bout l’événement inouï de la réclusion massive à l’échelle mondiale.
Que faire de la beauté quand les spectateurs se sont absentés ?
Il y a bien encore des balustrades, des balcons, des extérieurs, mais pour quelle autre fin que pour le contentement du décor autophage ?
©Laure Vasconi
En ses motifs réitérés de façades muselées et de tondi à l’oculus tourmenté, Paris Eclipses offre un aperçu architectural de la Ville Lumière devenue ville de ténèbres.
La série des formes répétées révèle en outre le devenir sériel des humains, ces singuliers vivants incarcérés pour le bien d’autres vivants non moins interdits de déplacements.
Les ombres deviennent fantastiques, et les arbres des quartiers cossus des sentinelles inquiétantes.
Le sentiment de désolation est intense, dans la perspective eschatologique d’une aube nouvelle, peut-être.
©Clémence Varraca
Laure Vasconi, Paris Eclipses, direction artistique et design graphique Nicolas Rouvière, texte Jean-Marie Durand, photogravure Gilles Lamotte, Edition d’Art, 2021
©Clémence Varraca