
©Brigitte Manoukian
« Le Liban fait partie de mon histoire familiale : mes grands-parents, partis de Kharpet, leur village d’Anatolie orientale, au moment du génocide arménien, sont passés par Alep, puis Beyrouth et sont arrivés à Marseille. Ils y sont restés. »
Voilà le type d’ouvrage, objet-livre très bien maquetté, inédit de propos, intelligent de forme, qui m’enchante.

©Brigitte Manoukian
Pensé par la photographe Brigitte Manoukian et la graphiste Marie-Anne Hauth, publié par Arnaud Bizalion Editeur, Burj Hamud est un livre dédié à la diversité, au courage et à la résilience du peuple libanais vivant dans cette banlieue devenue refuge de la communauté arménienne au début du XXème siècle, située de l’autre côté de la rivière et de la voie rapide Gemayel à l’est de Beyrouth – l’explosion du 4 août 2020 en a fortement bouleversé les traits.
Vivent aujourd’hui dans cet espace-monde métaphorisant ce qu’est devenu le généreux Liban des réfugiés venus de tous pays, Palestiniens, Syriens, Africains.

©Brigitte Manoukian
Ayant travaillé avec des nuances de noirs et de gris très intenses, Brigitte Manoukian offre de ce territoire pluriel exploré depuis 2016 une image en révélant l’âpreté comme les tensions, la photographe regardant les murs et les inscriptions qui les recouvrent, mais aussi l’ensemble des fils électriques, grilles et devantures de magasins, symbolisant un écheveau relationnel fait de contradictions et d’entremêlements humains plus ou moins heureux.
Néanmoins, la tonalité générale est surtout très sombre, presque désespérée.

©Brigitte Manoukian
La simplicité de l’appareil photographique avec lequel l’artiste a œuvré donne à nombre de ses visions une texture presque fantomatique.
Ici règnent la pauvreté, les paradoxes, et malgré tout la coexistence généralement pacifique de populations issues de communautés très différentes.
« Le Liban, écrit en préface Brigitte Manoukian, s’appréhende comme un processus, dans la dynamique de perpétuelles constructions et reconstructions : le Liban est un concept inachevé, c’est un territoire, mais pas un Etat, pas une nation. »

©Brigitte Manoukian
Des bâtiments faisant du funambulisme, un ciel strié de câbles divers, des tentures, des barbelés, du linge suspendu, des inscriptions (Turkey, guilty of genocide / 24 avril 1915) et partout des marques de religiosité, posters de saints, statuettes votives, croix, chapelet.
En ses images parfois dégradées, la photographe révèle la grande précarité de qui survit en ces lieux.
Des oiseaux encagés.

©Brigitte Manoukian
On trouve de tout à Burj Hamud, des talons hauts comme des fichus noirs.
Une chaise vide, un dogue enchaîné.
De l’arabe, des écritures latines, des mains négatives sur une paroi comme dans une grotte du néolithique.
Grandeur d’un palais décati, mosaïques, béton, climatiseurs, flaques boueuses.
Le mont Ararat, sommet le plus élevé de Turquie se situant sur le haut plateau arménien à l’est du pays, est peint sur un mur.

©Brigitte Manoukian
Ce « paradis perdu » (Gregory Buchakjian) est un espoir pour tout un peuple et sa diaspora.
Rendez-vous demain, tout à l’heure, maintenant, à l’Armenian Café, on y sera sûrement bien pour en discuter sans haine.
Brigitte Manoukian, Les fils de Burj Hamud, textes Gregory Buchakjian et Thierry Fabre, graphisme et maquette Marie-Anne Hauth, Arnaud Bizalion Editeur, 2022, 600 exemplaires
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